Le Journal de Montreal

Je vous en supplie... faites-moi souffrir

- MADELEINE PILOTE-CÔTÉ Collaborat­ion spéciale

Je n’ai pas vécu la misère, la pauvreté, la déception comme les génération­s qui m’ont précédée. On m’en a empêchée.

Je devrais être fière d’être une milléniale, pourtant ce n’est pas le cas. Je devrais, comme les jeunes de ma génération qui représente 25 % de la population québécoise, me balader fièrement, cellulaire à la main sur mon vélo, mais ce n’est pas le cas. J’ai mal et je n’en ai pas le droit.

Pourquoi ? Parce que nos mères nous ont tellement voulus. Elles ont programmé notre venue au monde au rythme de leurs hormones, elles ont uriné sur de petits bâtons attendant frénétique­ment la barre rose leur annonçant qu’on existait vraiment.

Quand nous sommes arrivés dans leur vie et par le fait même dans la société, on a voulu nous épargner tous les « traumatism­es » en surdimensi­onnant notre ego.

C’est entre autres en faisant laminer tous nos dessins, qu’on nous a maintenus artificiel­lement dans un paradis improbable, où l’échec, les revers et les malheurs n’existent pas. Le pays des licornes, c’est ça.

UN CHOC ENCORE PLUS GRAND

Nos grands-parents baby-boomers, nos parents de la génération X, ont aménagé leurs sous-sols de banlieue en « bachelor » avec, en prime, de la sauce à spag à volonté dans notre frigo perso. Tout ça, pour que l’argent du loyer qu’on aurait à payer soit placé dans un REER. Logés, nourris, encensés.

Le choc des génération­s n’est pas dans l’écart technologi­que, il est dans le fait qu’on nous impose un monde aseptisé où l’on nous a proclamés enfants rois et reines en nous faisant croire qu’on habitait un royaume.

À trop vouloir éviter à ceux qu’on aime de vivre les difficulté­s propres à leur génération, on les handicape sévèrement pour le reste de leurs jours.

Il est là le choc : cohabiter avec des adultes qui ont de l’expérience et un coffre à outils bien garni alors que le nôtre est vide et le sera longtemps, car on ne nous a pas appris à nous servir d’un marteau de peur que l’on se cogne les doigts.

REPÊCHÉE PAR LA RÉDACTION

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