Le Journal de Montreal

Son complice Sonam

- FRANÇOIS-DAVID ROULEAU

Quelle est l’histoire de Sonam ? Il n’est pas de la lignée des sherpas de montagne. Lorsque je l’ai connu lors d’une expédition à Tenzing et Hillary Peaks, il transporta­it du matériel sur le glacier. Il n’avait pas le physique, mais il avait la volonté. À l’âge de 10 ans, il a perdu sa mère qui souffrait d’une tuberculos­e. Et à 16 ans, il a vu son père mourir. Il vit donc avec ses quatre soeurs, au Népal. Il a réussi des certificat­ions en montagne. Il a atteint le sommet du Manaslu (8163 mètres) et celui de l’Everest.

Hormis cette tournée, que faistu pour aider Sonam dans son quotidien ? Sonam a été là pour moi dans des moments difficiles. Je dois l’aider. Au printemps dernier, quand est venu le temps de lui donner son pourboire pour ses services, je lui ai donné le même montant qu’aux autres pour ne pas créer de jalousie. Mais en plus, en cadeau personnel, je lui ai offert des cours de français. Il parle népalais et anglais. Il voulait apprendre le français, donc je le parraine dans ses cours offerts par l’Alliance française de Katmandou. S’il se blesse en montagne, il pourrait ainsi se trouver du boulot avec une compagnie de trekking en parlant trois langues. Il fait déjà d’énormes progrès. On le voit dans une vidéo de la conférence.

Sonam a accompli un geste rempli de significat­ion pour un organisme du Québec au sommet de l’Everest. Qu’a-t-il fait ? J’avais un drapeau de l’organisme Chaîne de vie (une cause éducative sur le don d’organes). Mes deux clients étaient au camp 4 de l’Everest à environ 8000 mètres d’altitude, mais ils ne prévoyaien­t pas grimper plus haut cette journée-là. Je devais jongler avec deux choix, soit leur laisser le drapeau ou le donner à Sonam, qui était en ascension. Pour éviter des surprises avec la météo, je lui ai donc donné le drapeau de la cause pour qu’il le déploie au sommet. Il a réussi. Quand on pense à cette histoire, c’est évident que c’est une réalisatio­n marquante. Mes clients l’ont ramené au sommet par la suite.

Qu’est-il advenu de ce drapeau ? À notre retour, je l’ai donné à l’alpiniste Serge Dessureaul­t, qui partait pour le sommet du K2 l’été dernier. Je le lui ai remis à sa caserne avant son départ, sans me douter que ce serait la dernière fois que je le voyais. Un peu plus d’un mois plus tard, Serge a perdu la vie sur la montagne. Le drapeau a disparu. Il n’était pas dans le matériel que sa conjointe a reçu. Mais il y a quelques semaines, un Pakistanai­s m’a contacté pour me dire qu’il avait retrouvé le drapeau. Nous tentons de le rapatrier au Québec.

Comment Sonam utilisera-t-il l’argent que tu lui donneras grâce à cette tournée ? Il faut que ce montant soit distribué à la bonne place. Il le dépensera pour les études de ses soeurs. En recevant une bonne éducation, elles pourront trouver du bon travail et pourront vivre convenable­ment. Sonam a fini son secondaire, mais ne pouvait pas poursuivre ses études, car il devait aider ses soeurs. Il voulait vraiment devenir sherpa. C’est un jeune très allumé. Il sait ce qu’il veut.

Tu as souvent frôlé la mort dans tes aventures. Avec le recul, quelle histoire est la plus effroyable ? J’ai failli y rester en Amérique du Sud alors que j’étais seul. J’ai failli y rester à mon premier essai sur l’Everest. J’ai failli être exécuté au camp de base du Nanga Parbat avec des amis. Chacune de mes péripéties est particuliè­re et intense. Mais le tremblemen­t de terre au Népal qui a déclenché l’immense avalanche sur l’Everest a été le plus affolant par son amplitude et son intensité. J’avais 40 secondes pour sortir de ma tente au camp de base et me mettre à l’abri derrière un rocher. Des dizaines de personnes ont péri, et moi j’étais en vie. On ne le réalise pas sur le coup, mais on se met en mode survie. Tu cherches à sauver ta peau. Le camp de base était un champ de bataille. J’ai transporté des cadavres à une tente qui servait de morgue. Il n’y a pas eu plus intense.

Tu es maintenant accompagna­teur en montagne en aidant les gens à réaliser leur rêve. As-tu accroché ton piolet d’alpiniste ? Je n’ai pas fini ma carrière de grimpeur. Je veux continuer. Je ne parle pas de retraite tant que la santé et la passion y seront. Je vais toujours m’amuser en montagne, même si ce n’est pas sur des sommets de plus de 8000 mètres. Je veux grimper pour les bonnes raisons. La ligne est mince entre la passion et l’obsession. L’erreur humaine tue les gens. J’ai perdu beaucoup d’amis en montagne et cela me fait réaliser que je dois écouter mon instinct.

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