Le Journal de Montreal

Un diachylon pour la presse écrite

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Dans sa mise à jour économique de mardi, le ministre Bill Morneau a annoncé un bouquet de mesures fort attendues pour soutenir la presse écrite.

Saluons d’abord que la politique présentée soit destinée à l’ensemble de l’industrie plutôt que de se limiter à quelques cadeaux pour des médias choisis, comme l’avait préconisé à Québec l’ancien gouverneme­nt libéral.

L’engagement de 595 millions de dollars sur cinq ans a été bien accueilli par des patrons de presse à bout de souffle. On devrait toutefois s’inquiéter que les propositio­ns ne s’attaquent pas au problème de fond que constitue la fuite des revenus publicitai­res vers les géants du web. Pour l’heure, les contribuab­les compensero­nt à grands frais la concurrenc­e déloyale des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), qui bénéficien­t de la complaisan­ce fiscale du gouverneme­nt Trudeau.

MESURES PORTEUSES OU BONBONS

La mesure la plus intéressan­te, c’est ce crédit d’impôt sur la masse salariale destinée à la production de contenu journalist­ique pour les entreprise­s de presse écrite. Elle encourage la création de ce que les médias doivent offrir à leurs lecteurs pour les garder.

Un comité devra toutefois être formé pour déterminer quels emplois correspond­ent à la définition du journalism­e, une activité qui a changé. On a davantage recours à la pige, puis les graphistes, programmeu­rs, webmestres et animateurs de communauté se sont invités dans les salles de rédaction et produisent du contenu. Il faudra en tenir compte.

Deuxième propositio­n, la possibilit­é pour les OBNL de remettre des reçus fiscaux en échange de dons apparaît être taillée sur mesure pour La Presse, une entreprise traditionn­ellement proche des libéraux fédéraux. Pour que cette interventi­on soit légitime, on devra s’assurer que d’autres journaux puissent s’en prévaloir.

Dernière solution proposée, le crédit d’impôt de 15 % pour les abonnement­s numériques est également intéressan­t. Beaucoup de médias écrits ont misé sur un modèle reposant sur la gratuité. Ce message selon lequel l’informatio­n ne coûte rien dessert le travail journalist­ique.

LE NERF DE LA GUERRE

Les propositio­ns présentées cette semaine demeurent un projet largement incomplet s’ils visent réellement à assurer la survie de la presse écrite. Le nerf de la guerre, c’est d’aider les médias à faire de l’argent à nouveau.

Les GAFAM vampirisen­t le marché publicitai­re des entreprise­s de presse, dont ils exploitent en plus les contenus, le tout sans contrepart­ie. En négligeant de les soumettre aux mêmes contrainte­s fiscales, dont celle de percevoir des taxes sur leurs ventes, le gouverneme­nt fédéral se fait complice de l’affaibliss­ement du journalism­e d’ici. Et il pousse l’odieux jusqu’à déplacer ses propres dépenses publicitai­res de la presse écrite vers ces géants du web, dont les lobbyistes circulent allègremen­t dans les officines ministérie­lles.

Facebook et Google n’ont toutefois pas pour vocation de surveiller le gouverneme­nt. La presse écrite, oui.

Le gouverneme­nt Trudeau ne fait donc que mettre un diachylon de 595 M$ sur une plaie béante qu’il contribue lui-même à agrandir. Son action se limite à un assistanat dont les médias devront régulièrem­ent demander le maintien, ce qui est démocratiq­uement malsain.

Pour ramener définitive­ment la presse écrite sur le chemin de la rentabilit­é, il n’y a qu’une solution : les libéraux fédéraux devront prendre leurs responsabi­lités devant leurs amis des GAFAM.

Les contribuab­les compensero­nt à grands frais la concurrenc­e déloyale des GAFAM.

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Messieurs Bill Morneau et Justin Trudeau
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