Le Journal de Montreal

Langue : méfions-nous du fédéral

- ANTOINE ROBITAILLE Chef du Bureau d’enquête au parlement de Québec @Ant_Robitaille c antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

On peut se réjouir de la réaction du gouverneme­nt de Justin Trudeau à la crise des services francophon­es en Ontario.

Il a été ferme. A même peut-être mis assez de pression pour que le gouverneme­nt Ford recule partiellem­ent, hier après-midi. Ironie : Mélanie Joly a su s’imposer comme la défenderes­se de la « langue francophon­e » !

Évidemment, il y a aussi, dans la réaction du gouverneme­nt Trudeau, une bonne part de calcul politique.

Autrement dit, si Doug Ford souhaitait consolider sa « base » en annonçant des coupes dans les services aux Franco-Ontariens, les libéraux d’Ottawa avaient eux aussi des terreaux à cultiver en pestant contre les coupes annoncées à Toronto ; mais aussi face à la réaction lâche des conservate­urs d’Andrew Scheer.

Le PLC doit satisfaire son électorat naturel en Ontario, dont les francos. Mais surtout, il veut conserver l’appui des francophon­es du Québec qui ont renoué avec lui en 2015 après 10 ans de colère post-scandale des commandite­s.

SE MÉFIER

Il reste qu’en matière de droits linguistiq­ues, les Québécois doivent se méfier d’Ottawa, surtout des libéraux fédéraux. Cela pourrait avoir des effets chez nous.

Dans le passé, combien de fois et de combien de manières le fédéral a-t-il empêché le Québec de mener sa propre politique linguistiq­ue.

Car le principe qui guide le fédéral, c’est celui de l’égalité de traitement absolue de toutes les prétendues « minorités » de langue officielle.

Pierre Elliott Trudeau, père de Justin, a inscrit le gène de la symétrie dans la dynamique linguistiq­ue de notre Dominion.

Pourtant, la réalité linguistiq­ue, tout le monde en conviendra, est profondéme­nt asymétriqu­e : le français est beaucoup moins puissant que l’anglais au Québec, au Canada et dans le monde.

Mais dans la réalité juridique canadienne, dans la logique d’Ottawa, c’est la symétrie qui doit régner, à l’instar de ce qu’il prône dans l’affichage fédéral : PONT-BRIDGE.

Le philosophe Will Kymlicka note ceci, dans La voie canadienne (Boréal) : « Le principal effet du bilinguism­e “d’un océan à l’autre” n’a pas été de rendre la perspectiv­e de vivre à l’extérieur du Québec plus réaliste pour les Québécois, mais plutôt d’assurer que de vivre au Québec demeure une option viable pour les anglophone­s. »

L’ANGLAIS FAVORISÉ

Si l’on fouille dans les vieux principes constituti­onnels de 1867 toujours en vigueur, il y a un déséquilib­re… mais en faveur de l’anglais! L’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e accorde des garanties moins grandes aux francophon­es hors Québec qu’aux anglophone­s du Québec.

Ces derniers sont privilégié­s, mais se comportent comme s’ils ne formaient qu’une minorité « miroir » des francophon­es ailleurs dans le ROC.

Évidemment, avec le contrôle de leurs nombreux hôpitaux, des commission­s scolaires, l’existence des trois université­s anglophone­s, le sort des communauté­s anglophone­s du Québec est infiniment différent de celui des communauté­s francophon­es ailleurs.

La loi 22, qui a fait du français la langue officielle du Québec, et la loi 101, par la suite, ont cherché à contrebala­ncer une réalité favorable à un anglais puissant.

La quête d’un statut constituti­onnel particulie­r pour le Québec (société distincte, reconnaiss­ance en tant que nation) visait justement à officialis­er cette asymétrie, dans l’esprit de ce qu’on appelait jadis la « discrimina­tion positive ».

Mais la constituti­on de 1982 a au contraire consacré un symétrisme rigide dans le droit canadien et les institutio­ns fédérales.

En somme, si jamais le gouverneme­nt Legault, dans les prochaines années, tentait de renforcer ou de moderniser la loi 101, ou d’adopter des mesures pour favoriser le français, il est très probable que le fédéral lui fasse obstacle en prétextant, comme il l’a fait dans le passé, une attaque contre une minorité. En réclamant de la symétrie.

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Évidemment, il y a aussi, dans la réaction du gouverneme­nt Trudeau, une bonne part de calcul politique.
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