Le Journal de Montreal

La ligne du risque

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

Il y a parfois des moments qui nous font réaliser que le sport n’est pas que du sport.

Je parle de ces moments qui nous ramènent aux questions philosophi­ques les plus essentiell­es.

Vous avez vu les terribles images du K.-O. subi par le boxeur Adonis Stevenson.

Il s’en trouvera pour condamner la brutalité de ce sport et souhaiter son interdicti­on.

C’est un débat qui ressurgit à chaque drame, bien qu’ils soient infiniment moins nombreux que jadis.

RISQUE

Je respecte ce point de vue, mais je ne le partage pas du tout.

La boxe n’est pas pour tous, j’en conviens sans problème.

On peut trouver moralement répugnant un sport où le gagnant est l’être humain qui a frappé le plus efficaceme­nt un autre être humain.

Les effets dévastateu­rs sur le cerveau ne peuvent plus être niés.

On connaît les trois principaux contre-arguments.

Le premier est de dire que le risque zéro n’existe pas, et que les risques ont été réduits avec les changement­s successifs apportés.

Le deuxième est de dire qu’il y a d’autres sports où les risques au cerveau sont immenses : football, hockey, rugby.

Dans ces sports aussi, il faut s’imposer physiqueme­nt sur autrui.

Il y a également des risques en plongée sous-marine, alpinisme, parachutis­me, course automobile, etc.

Le troisième est de dire que la boxe a servi d’ascenseur social à bien des jeunes.

Un petit gars d’Outremont dont le papa est avocat ne sera pas boxeur profession­nel : sans aucun mérite propre, il ne manquera pas d’options.

La vie d’Adonis Stevenson avant qu’il n’entre dans un gymnase a souvent été relatée. Inutile de s’appesantir. Que serait-il devenu sans la boxe ? Mais il y a deux autres aspects que ce débat tend à négliger.

Je crois qu’il existe chez l’être humain, dans sa nature fondamenta­le, un goût du risque, d’ampleur variable selon les individus.

Quand nos petites vies bourgeoise­s sont trop bien rangées, que fait-on ?

On les pimente en dévalant une pente de ski, même si on a dépassé la cinquantai­ne.

D’autres iront au casino, ou s’achèteront une moto, ou expériment­eront des audaces sexuelles.

Chacun place où il veut cette ligne du risque.

LIBERTÉ

Le boxeur sait qu’il court un risque et l’assume.

L’important est qu’il le fasse en toute connaissan­ce de cause et dans un environnem­ent qui trouve un point d’équilibre entre ce risque qui donne du goût à la vie et la sécurité accrue que la science moderne permet.

Le second aspect négligé dans ce débat tient en une question : si quelqu’un condamne moralement la boxe, au nom de quoi cette personne serait-elle légitimée d’imposer sa morale aux autres en les privant de ce qui leur plaît à eux ?

À une époque où l’on voit de plus en plus de croisades pour interdire à tous ce qui en dérange certains, ce n’est peut-être pas un rappel totalement inutile.

Chacun place où il veut cette ligne du risque.

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Adonis Stevenson
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