Le Journal de Montreal

SURPRISE ET DÉCEPTION

Bissonnett­e en prison pour au moins 40 ans Ses victims consternee­s Un jugement controvers­e qui reecrit la loi

- NICOLAS SAILLANT

QUÉBEC | Avec sa décision, le juge François Huot a voulu mettre un terme au malaise qui oblige les juges à imposer des peines en blocs de 25 ans dans le cas de meurtres multiples, estiment les juristes.

L’article 745.51 du Code criminel qui permettait au juge Huot de réclamer 150 ans d’incarcérat­ion, 25 ans pour chacune des six victimes de Bissonnett­e, a été au coeur du long jugement présenté hier.

Pourtant, ce dernier s’est rapidement montré en désaccord avec l’idée d’imposer une peine de 150 ans.

« Une période dépassant son espérance de vie risque fort, par son caractère absurde […] de jeter le discrédit sur l’administra­tion de la justice », écrit-il en écorchant au passage l’ancien gouverneme­nt conservate­ur et jugeant du même coup l’article 745.51 inconstitu­tionnel.

« La dispositio­n du Code criminel crée un malaise. Les juges n’osent pas l’appliquer », fait remarquer Jacques Deslaurier­s, ex-professeur de droit à l’Université Laval, venu écouter la sentence.

Il rappelle au passage qu’au même moment à Toronto, le tueur en série Bruce McArthur a reçu une peine de 25 ans pour huit meurtres.

« S’il déclare la loi inconstitu­tionnelle, on doit revenir à l’ancien article de loi et c’est le 25 ans qui doit s’appliquer », explique le criminalis­te JeanPierre Rancourt.

Toutefois, une sentence de 25 ans était tout aussi « déraisonna­ble » pour le juge Huot.

Devant ce dilemme, le magistrat a pris un chemin qui a « dérouté » tous les experts.

« Ce qu’il a fait était inattendu. Il n’a pas seulement déclaré inconstitu­tionnelle la loi, il l’a réécrite », fait remarquer le professeur Deslaurier­s.

UN REMÈDE POUR CORRIGER LA LOI

Le juge a ainsi trouvé un article dans la constituti­on lui permettant d’appliquer « un remède ». En tranchant pour une peine à perpétuité sans possibilit­é de libération avant 40 ans, il a imposé à Bissonnett­e une sentence qui fait maintenant force de loi.

Cette nouvelle loi, qui ne vient plus en contradict­ion avec la Charte des droits et libertés canadienne selon François Huot, offre une plus grande discrétion aux juges et leur permet d’imposer des peines appropriée­s pour ce genre de crime plutôt que des « peines cruelles et inusitées » comme le prescrit la Charte.

EN APPEL

Chose sûre, tous s’entendent pour dire que cette cause se retrouvera en appel puis devant le plus haut tribunal du pays.

« C’est un jugement qui est une tonne de brique, ça frappe la communauté juridique », dit la juge à la retraite Nicole Gibeault.

« Je ne sais pas où il prend son autorité pour se rendre à 40 ans, à mon avis ce n’est pas légal », pense Me Rancourt.

Quant au criminalis­te Raynald Beaudry, il estime que « l’exercice mental [du juge Huot] pour arriver à cette décision est génial ».

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JEAN-PIERRE RANCOURT Criminalis­te

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