26 VOYAGES AUX FRAIS DES ENTREPRENEURS
Des années après la commission Charbonneau, on en apprend encore sur les dessous de la collusion à Montréal
Parties de chasse au caribou et de pêche au sau-enveloppes mon, d’argent comptant. Un ancien ingénieur de la Ville de Montréal reconnaît s’être fait couvrir de cadeaux par des entrepreneurs qui faisaient affaire avec l’administration, tout en niant avoir été au courant de la collusion.
De 2003 à 2012, l’ex-chef de division Laurent Gravel a empoché 85 000 $ de pots-de-vin et voyagé pas moins de 26 fois aux frais d’entrepreneurs. L’homme de 67 ans a reconnu avoir obtenu ces cadeaux d’une valeur totale de 200 000 $ devant l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) qui lui reproche d’avoir participé à un système illégal de parde tage contrats publics. « Je n’étais pas au courant [de la collusion], mais je m’en doutais », a pourtant affirmé fin janvier l’ex-cadre de la Ville devant le conseil de discipline de l’Ordre. Dans les interrogatoires de l’ingénieur retraité menés par les enquêteurs de l’OIQ et déposés en preuves, Gravel identifie des élus, des fonctionnaires et des entrepreneurs qui ont voyagé avec lui ou qui lui ont donné de l’argent. Certains ont d’ailleurs été cités à la commission Charbonneau, qui avait établi que la collusion avait fait gonfler de 30 % les montants des contrats publics de construction à Montréal. Le syndic de l’OIQ réclame désormais la radiation à vie de Gravel. « On s’est demandé si on voulait qu’un ingénieur comme ça revienne dans la gang. La réponse est non », a plaidé le syndic adjoint Alain Ouellette.
PROXIMITÉ
Gravel avait été congédié par la Ville en 2010 en raison de sa « grande proximité avec des entrepreneurs ».
Selon les documents déposés en preuves devant l’OIQ, il est parti près de trois fois par an en voyage aux frais d’entreprises de construction :
En juillet, Joseph Giguère, patron de Doncar et Construction Soter, le conviait avec sa conjointe et d’autres couples à des voyages de pêche ;
En août, Giguère l’invitait dans une pourvoirie du Grand-Nord pour chasser le caribou et pêcher le saumon ;
En novembre, Gravel embarquait avec un groupe de chasse organisé par Lyan Lavallée, patron de Ciments Lavallée.
RETOURS D’ASCENSEUR
L’ex-ingénieur a avoué avoir remis à trois reprises à Joseph Giguère des listes confidentielles de soumissionnaires sur des contrats de la Ville.
Gravel a également reconnu avoir autorisé de faux extra à Lyan Lavallée et à Joey Piazza, de TGA Construction. Il dit aussi avoir facilité des opérations de dynamitage de Domenico Arcuri, de Construction DAMC et Mirabeau Construction.
Enfin, il a affirmé avoir accepté de fausser deux fois les résultats de comités de sélection pour favoriser des compagnies, à la demande de l’ancien directeur des travaux publics de Montréal Robert Marcil.
Malgré tout, Gravel conteste la demande de radiation permanente de l’OIQ, affirmant n’avoir rien fait pour plusieurs entrepreneurs qui l’ont gratifié.
« Que ces pots-de-vin aient eu un effet ou non, ça n’a pas d’importance, a répliqué l’avocate du syndic, Sharon Godbout. Les entrepreneurs avaient la perception que ça favorisait leurs affaires, ce qui alimentait le système de collusion. »
La juge administrative Isabelle Dubuc rendra dans les prochaines semaines sa décision sur la sanction à infliger à l’ingénieur retraité.