Le Journal de Montreal

Renée Claude et notre indifféren­ce

Ça faisait un moment que les gens du milieu artistique savaient que Renée Claude était atteinte d’Alzheimer.

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher@quebecorme­dia.com

Mais quand j’ai vu dans Le Journal que la fabuleuse interprète en était au septième et dernier stade de cette maladie qui vous efface, j’ai pleuré.

Quelle tristesse que cette femme, qui a chanté les plus beaux mots des plus grands poètes, ne dise plus qu’un mot de temps en temps.

Et quel symbole que cette province, dont la devise est Je me souviens, se souvienne si peu de cette femme qui possédait une des plus belles voix du Québec.

AVEC LE TEMPS…

Je vous pose la question : à quand remonte la dernière fois que vous avez entendu la voix de Renée Claude à la radio ou dans une émission de télé ? Comment notre milieu culturel a-t-il pu oublier si rapidement celle qui a été la première interprète de Le monde est fou, de Luc Plamondon, la chanson qui allait devenir Hymne à la beauté du monde ?

Celle qui a fait une tournée québécoise avec Jacques Brel, qui a été invitée à l’émission de Johnny Carson, qui a fait la pluie et le beau temps au Québec en chantant les plus belles chansons de Stéphane Venne (C’est notre fête aujourd’hui, Le tour de la terre, Le début d’un temps nouveau, Tu trouverasl­apaix ), en reprenant Brassens, Ferré ou Clémence ?

Je me souviens très bien, en 2008, quand Pierre Karl Péladeau lui avait remis le prix hommage Québecor, elle avait été très touchée qu’on reconnaiss­e « l’ensemble de son oeuvre », mais elle était si modeste, si humble, comme si elle pensait qu’elle ne méritait pas tous ces honneurs.

Dans la comédie musicale Nelligan d’André Gagnon, Renée Claude chantait L’Indifféren­ce : « Sans qu’on le veuille / Sans qu’on l’attende / On se détache et sans comprendre / Sans dire adieu et sans souffrance / On sent venir l’indifféren­ce ».

Qui, parmi les milléniaux, en 2019, connaît le nom, le visage ou le répertoire de Renée Claude ?

En 1996, elle avait remporté le grand prix de l’académie Charles-Cros pour son superbe album On a marché sur l’amour, sur lequel elle reprenait les plus belles chansons de Ferré.

Aujourd’hui, sachant quelle maladie la ronge, je frissonne quand, dans mes écouteurs, je l’entends chanter : « Avec le temps / Avec le temps, va, tout s’en va / On oublie le visage, et l’on oublie la voix ».

Renée Claude possédait un talent que possèdent peu d’interprète­s : elle incarnait chaque mot des chansons, elle en comprenait le sens, elle n’était pas qu’une simple voix, elle était une voie qui nous donnait accès aux sentiments les plus profonds.

BALLADE POUR MES VIEUX JOURS

Dans la Ballade pour mes vieux jours, superbe texte écrit par Luc Plamondon et mis en musique par André Gagnon, elle chantait : « Pour mes vieux jours, je voudrais / Que tous les hommes que j’ai aimés / Viennent s’asseoir à mes côtés / Dans un ancien salon de thé / Que nous parlions tous ensemble / De ce que nous avons été. »

Renée Claude ne se souvient plus de son amour des 30 dernières années, Robert Langevin.

Renée Claude ne se souvient plus de nous. Mais assurons-nous de nous souvenir de Renée Claude.

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