L’île du Groenland n’est pas à vendre à Donald Trump
L’intérêt de Donald Trump cache un intérêt stratégique croissant pour l’Arctique
KULUSUK, Danemark | (AFP) « Prêts à faire des affaires, pas à vendre » : les autorités groenlandaises ont rappelé hier que leur île, riche en ressources naturelles, n’était pas à vendre après des révélations selon lesquelles Donald Trump s’était montré intéressé par l’achat de l’immense territoire danois. La veille, le quotidien économique The
Wall Street Journal avait écrit que le président américain, magnat de l’immobilier avant de se lancer en politique, s’était « montré à plusieurs reprises intéressé par l’achat » de ce territoire qui compte quelque 56 000 habitants et en avait parlé à ses conseillers à la Maison-Blanche.
Le président s’est notamment renseigné sur les ressources naturelles et l’importance géopolitique de la région, selon le journal.
« Le Groenland est riche en ressources précieuses (...). Nous sommes prêts à faire des affaires, pas à vendre » le territoire, a rétorqué hier le ministère groenlandais des Affaires étrangères.
À Kulusuk, un village de chasseurs et de pêcheurs peuplé de moins de 300 habitants dans le sud-ouest de l’île, les habitants rencontrés ne croient pas au projet de Donald Trump.
« Ça n’arrivera jamais ! » assure Jakob Ipsen, le propriétaire de l’un des deux hébergements que compte la bourgade.
UNE GROSSE BLAGUE
« Les gens prennent ça comme une grosse blague ; ils ont déjà essayé en 1867, puis pendant la Deuxième Guerre mondiale et rien ne s’est produit, ça ne risque certainement pas de se produire », assure-t-il.
Le Groenland était une colonie danoise jusqu’en 1953, date à laquelle il est entré dans la « Communauté du Royaume » danois. En 1979, l’île a obtenu le statut de « territoire autonome », mais son économie dépend toujours fortement des subsides versés par Copenhague.
« Ce doit être un poisson d’avril », a de son côté tweeté l’ancien chef du gouvernement danois Lars Løkke Rasmussen.
Le Groenland est une gigantesque île arctique, grande comme quatre fois la France, riche en ressources naturelles (pétrole, gaz, or, diamant, uranium, zinc, plomb). La base militaire la plus septentrionale des États-Unis – la base aérienne de Thulé – se situe d’ailleurs toujours sur l’île.
« C’est la position militaire du Groenland » qui attirerait le président américain, estime Jakob Ipsen.
WASHINGTON | (AFP) Acheter le Groenland, comme autrefois la Louisiane ? L’intention, prêtée à Donald Trump, semble être la dernière lubie d’un président qui aime décidément s’affranchir des codes diplomatiques. Mais elle révèle aussi l’intérêt stratégique croissant des États-Unis pour l’Arctique, face à la Russie, mais également la Chine.
D’après le Wall Street Journal , qui a rapporté jeudi cette idée planant apparemment dans la tête de l’ex-magnat de l’immobilier, les conseillers de la Maison-Blanche ont eux-mêmes eu des réactions contrastées quant au sérieux à accorder à cette requête. Mais le fait est que le milliardaire républicain se serait enquis plusieurs fois de la possibilité, pour Washington, d’acheter cette gigantesque île arctique de 56 000 habitants.
Problème : le Groenland n’est pas une de ces petites îles paradisiaques que les plus fortunés peuvent s’offrir. Et les relations internationales ont quelque peu changé depuis 1803, quand la France de Napoléon Bonaparte vendait la Louisiane aux États-Unis.
Autrement dit, le Groenland est « ouvert aux affaires, pas à la vente », a rétorqué hier le gouvernement groenlandais.
PRISE DE CONSCIENCE
Territoire autonome depuis 1979, l’île est institutionnellement rattachée au Danemark — où Donald Trump doit justement se rendre dans deux semaines.
Car derrière l’intérêt présidentiel se cache une prise de conscience américaine de l’importance du Groenland, mais aussi, plus largement, de toute la région arctique.
« L’administration découvre, très tardivement, le rôle géostratégique de l’Arctique », explique Heather Conley, du cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies.
Outre l’étape danoise de Donald Trump, son vice-président Mike Pence se rendra début septembre en Islande pour « élargir les opportunités commerciales » et « renforcer la sécurité dans la région arctique ». Et le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a participé en mai en Finlande à une réunion du Conseil de l’Arctique.
Son discours a été considéré comme un tournant dans l’implication de Washington.
CONCURRENCE MONDIALE
La région est devenue un espace de pouvoir mondial et de concurrence », avaitil reconnu. Mais pour mieux dénoncer « l’attitude agressive » de Pékin et Moscou, marquant sa suspicion quant aux investissements massifs chinois et les « empreintes de bottes » que les militaires russes laisseraient « dans la neige » par leurs « actions provocatrices ».
Pour Luke Coffey, expert à la fondation conservatrice Heritage, « la Russie est dans son bon droit » lorsqu’elle développe ses activités militaires chez elle, puisqu’elle possède la moitié du territoire arctique. « Le problème, c’est qu’il n’y a aucune garantie que la Russie restera à l’intérieur de ses frontières », dit-il.
La Chine, quant à elle, sans être une puissance régionale à part entière, a développé une présence qui reste pour l’instant surtout économique et scientifique. Elle tisse sa toile pour gagner des marchés et espère profiter à terme de la route du Nord, qui raccourcit le trajet entre les océans Pacifique et Atlantique.
Les États-Unis, eux, ont « délaissé la région après la fin de la Guerre froide », constate Heather Conley, estimant que l’administration Trump doit maintenant bâtir une politique pour passer de la parole aux actes.
Dans ce contexte, le Groenland est « stratégiquement important », ajoute-t-elle.
« Le Groenland est absolument vital pour la défense et la sécurité de l’Amérique du Nord », renchérit Luke Coffey, soulignant l’importance de la base aérienne américaine de Thulé, avec ses radars indispensables à la défense antiaérienne.
IMPORTANCE ÉCONOMIQUE
Face à la Russie et à la Chine, cet expert suggère d’étendre encore la présence diplomatique américaine, alors que Mike Pompeo a annoncé une représentation « à mi-temps » à Nuuk, la capitale du territoire autonome.
Le secrétaire d’État américain a pris acte de l’importance économique de la région.
« Le recul régulier de la banquise ouvre de nouvelles voies de passage et offre de nouvelles retombées commerciales », a dit Mike Pompeo en Finlande, alors même que, fidèle au climato-scepticisme de l’administration Trump, il refusait de mentionner le changement climatique dans déclaration finale du Conseil de l’Arctique.