Le Journal de Montreal

Un suspect roulait en Lamborghin­i

L’homme soupçonné d’avoir trempé dans le vol de données de Desjardins voulait projeter une image de succès

- HUGO JONCAS, FÉLIX SÉGUIN, ANDREA VALERIA ET SARAH-MAUDE LEFEBVRE – Avec Marc-André Gagnon, Bureau parlementa­ire

L’enquête sur le vol de données personnell­es de 2,9 millions de clients de Desjardins a mené les policiers sur la trace d’un nouveau suspect. Il aurait eu en main une bonne partie des informatio­ns dérobées, que des criminels ont pu revendre par le dark web.

Juan Pablo Serrano, 33 ans, fait partie des 17 « personnes d’intérêt » que la Sûreté du Québec a rencontrée­s hier.

Nous avons brièvement discuté avec lui. « Je n’ai aucun commentair­e à faire sur l’enquête », dit-il.

En tout, les forces de l’ordre ont questionné pas moins de 91 individus depuis le début de la semaine.

Les policiers ont aussi perquisiti­onné dans un entrepôt où Serrano se rendait régulièrem­ent, rue Notre-Dame Est, à Montréal. Selon nos informatio­ns, environ 200 plants de marijuana légale y sont cultivés.

La bâtisse appartient à un de ses « amis d’enfance », dit-il.

« Elle est louée par le CN et par d’autres individus malades qui possèdent des permis de culture de cannabis », explique Serrano, qui traîne un lourd passé criminel.

Il a purgé diverses peines de prison, notamment pour falsificat­ion de cartes de crédit, entrave au travail d’un agent public, vol et fraude (voir encadré).

Depuis quelques années, il habite un condo de l’avenue Terry-Fox, à Laval, où ses voisins ont noté beaucoup de va-etvient. Il a été aperçu au volant de plusieurs voitures de luxe, dont une Ferrari et une McLaren.

LAMBORGHIN­I ET BITCOINS

En 2018, Serrano a roulé dans une Lamborghin­i Huracán à plus de 200 000 $.

« Je l’ai louée pour quelques mois pour faire la publicité d’une entreprise de fruits », dit-il. Le projet est toutefois tombé à l’eau.

Serrano fait aussi dans la spéculatio­n sur les bitcoins.

« J’ai toujours été intéressé par la cryptomonn­aie, oui », convient-il.

Ces monnaies virtuelles ne sont pas illégales, mais sont souvent utilisées sur le dark web pour faire des transactio­ns criminelle­s.

Notre Bureau d’enquête a également contacté son demi-frère, Miroslav Dufresne, qui avait accepté de l’aider en cautionnan­t la location de la Lamborghin­i.

« On s’est tous demandé ce qu’il faisait. C’est très clinquant, dit-il. C’était plus pour son besoin de se donner un certain style et une crédibilit­é dans ses activités… Fake it

till you make it, comme on dit. »

Son demi-frère ignorait tout des ennuis de Serrano et des activités criminelle­s dont il est maintenant soupçonné, relativeme­nt à la fuite de données chez Desjardins.

« C’est sûr que si lui a décidé consciemme­nt d’utiliser ça [les données personnell­es] pour la revente, c’est décevant. Mais qu’est-ce que je peux y faire ? J’espère sincèremen­t qu’il va se sortir de ça. »

Sur le plan politique, hier, les négociatio­ns qui devaient permettre la tenue d’auditions à l’Assemblée nationale concernant les récentes fuites de données se sont soldées par un échec pour une troisième fois.

Le gouverneme­nt a décidé de s’en tenir aux institutio­ns privées concernées pour faire la lumière sur ce qui s’est passé. De leur côté, les opposition­s voulaient en profiter pour entendre également Revenu Québec et le Conseil du trésor.

En juin, Desjardins a annoncé qu’un employé avait vraisembla­blement dérobé les données personnell­es de 2,7 millions de clients et 173 000 entreprise­s.

PAS ENCORE ACCUSÉ

L’individu, Sébastien Boulanger Dorval, travaillai­t dans le secteur du marketing pour l’institutio­n financière, dont le siège social est à Lévis, sur la Rive-Sud dans la région de Québec. Il a été interrogé au printemps dernier, puis relâché. Aucune accusation criminelle n’a été déposée dans ce dossier pour l’instant.

Au total, 200 policiers et 10 civils participen­t à l’enquête pour trouver les responsabl­es de ce vol massif.

En juillet, notre Bureau d’enquête révélait que les données volées avaient déjà été vendues à des groupes criminels, notamment au moyen du dark web, des sites internet camouflés souvent utilisés pour des activités illégales.

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