Le Journal de Montreal

« Porter des manches longues ici, c’est incontourn­able »

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Trieur n’est la job de rêve de personne. Quand on vous passe en entrevue, on ne vous demande pas vos aspiration­s ou l’endroit où vous vous voyez dans cinq ans.

On vous dit même que « si ça ne va pas, ce n’est pas grave » tellement l’employeur est conscient qu’il s’agit d’un job jetable.

De nouveaux employés, l’agence de placement qui en fournit la majorité en envoie chaque semaine.

Avec un CV très sommaire, je n’ai donc eu aucune difficulté à me faire recruter.

Un appel, deux courriels, une entrevue de 15 minutes et presque tous les papiers d’embauche sont signés.

Même pas besoin d’essai vu que je suis habillé un peu propre pour l’entretien : « Tu commences lundi 15 h. Arrive 15 minutes d’avance ! »

S’il y a tant de roulement, c’est que les conditions sont dures. Je m’en suis aperçu rapidement. Ceux qui se lèvent chaque matin pour faire ce boulot ont tout mon respect.

Passer de longues heures debout à manipuler sans arrêt de la saleté et des éclats de verre, devant un convoyeur qui défile à une vitesse étourdissa­nte, le tout sur fond d’odeur désagréabl­e, voire infecte quand viennent les poubelles, voilà qui n’est pas une descriptio­n de tâches invitante.

Pas question non plus de prendre une pause avant le son de la cloche. Quand le tapis arrête, parce que la chute des matières est bloquée, ou que la presse coince, il ne faut pas « se tourner les pouces » rappellent constammen­t le contremaît­re et les chefs de ligne.

Je dois donc ramasser les feuilles de papier et les sacs qui sont tombés à mes pieds, ou passer le balai dans l’allée.

Les deux pauses de 15 minutes et la demi-heure de repas, mes seuls moments où je peux reposer mes jambes, passent vraiment vite.

L’air au centre de tri est vicié, nos masques filtrants se salissent très vite. Bien que je change le mien toutes les deux heures, il passe inévitable­ment du blanc au gris.

Si on peut utiliser quatre masques par jour, les gants eux ne sont pas changés souvent. À force de manipuler du recyclage sale, ils prennent une odeur peu invitante et leur revêtement de plastique se perfore parfois.

Il faut demander au contremaît­re pour avoir droit à une nouvelle paire. Après quatre jours de travail avec les mêmes gants, ma requête a été refusée. « Fais une autre journée avec. Demain, je t’en donnerai d’autres. »

Dommage, c’est justement ce soir-là que je faisais le nettoyage de ballots. M’éreinter sur l’exacto et les pinces m’a donc valu une bonne série d’ampoules aux doigts.

HIÉRARCHIE DES TRIEURS

Tous les postes de trieurs ne s’équivalent pas. Il y en a des pires que d’autres.

Trier les gros cartons, par exemple, ça bouge beaucoup de matières, parfois indésirabl­es. Elles tombent parfois dans les chutes et contaminen­t le carton, parfois sur le plancher, parfois sur les trieurs.

Porter des manches longues ici, c’est un incontourn­able, même s’il fait chaud. Sinon les éclats de verre s’accrochent à mes bras.

Je ne referai pas l’erreur de mettre un chandail à manches courtes après ma première journée.

Autre irritant majeur au carton : les chutes dans lesquelles il est lancé bloquent souvent.

Il faut alors s’acharner à les décoincer à l’aide d’un vieux bâton de hockey brisé ou d’un manche de pelle. Mais des fois, ça ne suffit pas.

On met alors son travail de côté et on ramasse autre chose. Le carton, lui, poursuivra sa route, quitte à se retrouver dans la presse à papier.

Obtenir une « promotion » et passer dans la deuxième salle, au tri des contenants, est toujours bienvenu.

Comme dirait Papi, un des chefs de ligne : « Un régulier, c’est important de le faire avancer, sinon il va se dire : “Câlisse, ils me laissent tout le temps au carton”. »

BONJOUR LES ACCIDENTS

Ramasser des bouteilles de plastique, c’est pas mal moins salissant. Même si certaines personnes mettent leur bouteille de boisson gazeuse à moitié pleine dans le bac de recyclage.

Comme toute usine, un centre de tri est un lieu dans lequel des accidents de

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