Québec prête à des entreprises sans s’attendre à être remboursé
Des prêts du ministère de l’Économie ressemblent férocement à des subventions
Prêts ou subventions ? La question se pose puisque le ministère de l’Économie prévoit de ne jamais revoir près du tiers des sommes qu’il a prêtées à des entreprises.
Au 31 mars, la provision pour pertes sur prêts du Fonds du développement économique (FDE) atteignait 705 millions $, soit 32 % de son portefeuille total de prêts de 2,2 milliards $.
« C’est une estimation des pertes qu’on anticipe. L’argent n’est peut-être pas encore perdu, mais on juge qu’il y a de bonnes chances qu’il le soit », explique Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’Université Concordia.
PLUS ÉLEVÉ QU’AU FÉDÉRAL
Le taux de 32 % du FDE du ministère de l’Économie est plus élevé que celui de son équivalent fédéral, Développement économique Canada pour les régions du Québec (DEC-Qc), qui est de 26 %.
« Les programmes sont souvent plus restrictifs au fédéral. On a l’impression qu’on prend moins de risques au fédéral qu’au provincial. On peut penser que comme le fédéral est un peu plus éloigné, la sensibilité politique est peut-être moins grande et que ça expliquerait qu’on prenne un peu moins de risques », souligne Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique.
Les taux de provision pour pertes sur prêts sont encore moins élevés au bras financier du gouvernement, Investissement Québec (IQ), à la Banque de développement du Canada (BDC) et dans les banques commerciales (voir tableau).
Mme Tremblay précise que le FDE et le DEC-Qc respectent les normes comptables pour le secteur public alors qu’IQ, la BDC et les banques commerciales suivent plutôt les normes internationales (IFRS), ce qui influe sur le calcul des provisions pour pertes.
De plus, si les comptables doivent respecter des critères objectifs pour établir ces provisions, ils jouissent tout de même d’une certaine marge de manoeuvre.
« La provision, c’est l’un des postes comptables qui demande le plus de jugement », note Romain Oberson, professeur à l’Université Laval.
« ÇA PASSE MIEUX »
Chose certaine, le ministère de l’Économie est plutôt en mode subventionnaire lorsqu’il fait des prêts à des entreprises en sachant, dès le départ, qu’il risque de ne jamais être remboursé.
« Il y a une tendance à y aller plus avec des prêts parce que politiquement, ça passe mieux que de verser des subventions. Mais parfois, les conditions du prêt font en sorte que ça ressemble plus à une subvention », affirme Marie-Soleil Tremblay.
M. Magnan souhaiterait à tout le moins que Québec fasse un suivi étroit des retombées des interventions du FDE, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
« Un taux de 32 %, c’est quand même important. Est-ce qu’il est compensé par de la création de valeur ? » demande-t-il.