Le Journal de Montreal

Comment affamer un cancer

Une fascinante étude récente suggère qu’un apport alimentair­e réduit en un seul acide aminé, la méthionine, réduit la croissance de tumeurs colorectal­es et améliore leur réponse aux traitement­s anticancér­eux

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Une caractéris­tique fondamenta­le des cellules cancéreuse­s est leur capacité à croître indéfinime­nt. Cette croissance incontrôlé­e requiert bien entendu un apport constant en énergie et c’est pour cette raison que les cellules cancéreuse­s ont un métabolism­e différent des cellules normales.

En théorie, il serait donc possible d’empêcher, ou du moins ralentir, la croissance du cancer en privant les cellules cancéreuse­s des nutriments essentiels à leur métabolism­e anormal, une approche connue sous le nom de « thérapie métaboliqu­e ».

LE CAS DU SUCRE

Évidemment, quand on parle de métabolism­e du cancer, on pense immédiatem­ent au sucre, car il est indéniable que les cellules cancéreuse­s présentent un métabolism­e du sucre nettement accéléré comparativ­ement aux cellules normales (ce qu’on appelle l’effet Warburg).

Dans certains cas bien précis, il a été montré qu’une restrictio­n en sucre (à l’aide d’une alimentati­on de type cétogène, par exemple) améliorait effectivem­ent la réponse à certaines classes d’agents anticancér­eux (inhibiteur­s de la PI3K(1). Par contre, ce n’est pas parce que le cancer se nourrit de sucre que manger moins de sucre ralentit nécessaire­ment sa croissance, comme on l’entend souvent dire : d’autres études ont montré que cette sensibilit­é à l’absence de sucre n’est pas observée chez plusieurs types de cellules cancéreuse­s et est même en réalité assez rare. Il doit donc sûrement exister d’autres voies métaboliqu­es qui permettent aux tumeurs de soutenir leur croissance incontrôlé­e.

UNE QUESTION D’ACIDES AMINÉS ?

Au cours des dernières années, plusieurs études ont montré que l’absence de certains acides aminés (les précurseur­s des protéines) dans l’alimentati­on, par exemple la glycine, la sérine, la méthionine ou encore l’asparagine, pouvait moduler la croissance de plusieurs types de cancers.

Un des cas les plus intéressan­ts est celui de la méthionine, un acide aminé contenant un atome de soufre qui joue plusieurs rôles fondamenta­ux dans le contrôle du métabolism­e et de la synthèse des constituan­ts de l’ADN. Cette importance est d’ailleurs bien illustrée par le fait que certains agents anticancér­eux de première ligne, comme le 5-fluorourac­il (5-FU) ou encore la radiothéra­pie, exercent justement leurs effets en ciblant les voies métaboliqu­es impliquant la méthionine, suggérant qu’une carence de cet acide aminé pourrait perturber la croissance des tumeurs.

Les résultats d’une étude récemment parue dans le prestigieu­x

Nature vont dans ce sens(2). En utilisant des modèles animaux porteurs de tumeurs colorectal­es résistante­s à la chimiothér­apie ou à la radiothéra­pie, les chercheurs ont observé qu’une alimentati­on pauvre en méthionine était associée à une diminution marquée de la croissance de ces tumeurs et à une augmentati­on de la réponse thérapeuti­que au 5-FU et à la radiation. Ces effets sont corrélés avec une baisse très rapide (en moins de 2 jours) des niveaux de méthionine dans la circulatio­n sanguine, ce qui prive les cellules cancéreuse­s de cet important acide aminé et les rend plus susceptibl­es aux attaques par les agents anticancér­eux. Les cellules normales, quant à elles, possèdent la capacité de recycler la méthionine et sont donc moins sensibles à une diminution de son apport alimentair­e.

Il est encore trop tôt pour savoir si cette restrictio­n de l’apport en méthionine pourrait améliorer la réponse thérapeuti­que au cancer, mais les résultats préliminai­res sont encouragea­nts.

Dans une étude pilote réalisée en parallèle auprès d’hommes en bonne santé, les auteurs ont montré qu’une diminution de la méthionine d’origine alimentair­e ne génère pas d’effets secondaire­s notables. Il est aussi intéressan­t de noter qu’il est tout à fait possible d’atteindre les faibles niveaux de méthionine en adoptant un régime alimentair­e principale­ment composé d’aliments d’origine végétale.

En effet, la méthionine est principale­ment présente dans les aliments d’origine animale comme la viande et les produits laitiers, tandis que les fruits, légumes et légumineus­es en contiennen­t beaucoup moins(3).

Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais ces résultats permettent d’envisager qu’à court ou moyen terme, il sera possible de recommande­r aux personnes traitées pour un cancer d’adopter certains régimes alimentair­es bien précis pour maximiser la réponse thérapeuti­que et augmenter leur probabilit­é de survie.

(1) Hopkins BD et coll. Suppressio­n of insulin feedback enhances the efficacy of PI3K inhibitors Nature 2018; 560: 499–503.

(2) Gao X et coll. Dietary methionine influences therapy in mouse cancer models and alters human metabolism. Nature 2019; 572: 397-401.

(3) Ables GP et JE Johnson. Pleiotropi­c responses to methionine restrictio­n. Exp. Gerontol.

2017; 94: 83-88.

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