Le Journal de Montreal

La pression d’allaiter dénoncée

Le biberon devient tabou, déplorent plusieurs intervenan­ts oeuvrant dans le domaine de la santé

- JÉRÉMY BERNIER

QUÉBEC | Des intervenan­ts du domaine de la santé et des jeunes mères dénoncent une pression démesurée du milieu médical pour favoriser l’allaitemen­t.

« Les infirmière­s me faisaient me sentir mal, je me sentais envahie dans mon corps. Elles me répétaient sans cesse les bienfaits de l’allaitemen­t lorsque je leur disais que je voulais donner le biberon. Il a fallu que je leur dise qu’elles me harcelaien­t pour qu’elles me lâchent ».

C’est le témoignage de Marie-Ève Lapointe, une maman qui s’est confiée au Journal pour souligner qu’elle devrait pouvoir décider du mode d’alimentati­on de ses enfants sans subir de pression médicale.

Cette éducatrice spécialisé­e de Repentigny raconte que la situation était identique pour son enfant précédent, neuf ans plus tôt. Mère monoparent­ale de 23 ans à l’époque, elle désirait nourrir son bébé au biberon pour que sa famille puisse l’aider pendant la fin de ses études.

UN QUOTA À RESPECTER

Selon des infirmière­s en milieu pédiatriqu­e du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec et du CISSS de la Montérégie-Est qui ont préféré garder l’anonymat, cette pression du milieu médical touche plusieurs jeunes mamans au Québec. À leur sens, elle peut être augmentée en raison de l’initiative « Amis des bébés ».

Lancée en 1991 par l’Organisati­on mondiale de la santé, cette initiative ou certificat­ion est implantée et encouragée depuis 2008 au Québec par le ministère de la Santé. Elle « vise la création de milieux de soins où l’allaitemen­t maternel constitue la norme et assure à chaque enfant le meilleur départ possible dans la vie ».

Cette certificat­ion peut servir d’attrait pour les établissem­ents qui souhaitent convaincre les jeunes parents de les choisir. Mais selon le pédiatre au CHU Sainte-Justine, Jean-François Chicoine, la certificat­ion sert plutôt à avoir « une belle image » (voir autre texte).

Pour être certifiés comme « Amis des bébés », les établissem­ents de santé doivent, entre autres, s’assurer que 75 % des nouvelles mères retournent chez elles en utilisant l’allaitemen­t.

LE SEIN À TOUT PRIX

En entrevue, les infirmière­s avec qui Le Journal s’est entretenu, qui sont aussi des mamans, jugent que cet objectif de 75 % provoque des situations comme celle qu’a vécue Marie-Ève Lapointe.

« On se fait pousser pour atteindre ces quotas. On n’a pas le droit de parler du biberon, à moins que la mère le demande. Et encore là, il faut tenter de la dissuader », a précisé l’une d’elles.

« Même si ça ne fonctionne pas bien, que le bébé ne boit pas, qu’il est rendu jaune parce qu’il est déshydraté et qu’il fait des pipis orange avec des cristaux, on pousse pour l’allaitemen­t. Quitte à donner de l’eau sucrée au nouveau-né pour ne pas qu’il s’habitue au goût du lait maternisé », a indiqué la seconde infirmière.

 ?? PHOTO ET ILLUSTRATI­ON, COURTOISIE ?? Marie-Ève Lapointe a subi beaucoup de pression de la part des intervenan­ts en santé lorsqu’elle a refusé d’allaiter ses deux premiers enfants. Au bas, le logo de l’initiative « Amis des bébés », qui encourage l’allaitemen­t.
PHOTO ET ILLUSTRATI­ON, COURTOISIE Marie-Ève Lapointe a subi beaucoup de pression de la part des intervenan­ts en santé lorsqu’elle a refusé d’allaiter ses deux premiers enfants. Au bas, le logo de l’initiative « Amis des bébés », qui encourage l’allaitemen­t.

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