Le Journal de Montreal

ESCLAVES MODERNES

Embauchées comme nounous dans des familles québécoise­s

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Des agences de placement québécoise­s font vivre l’enfer à des nounous étrangères sous-payées et exploitées derrière les portes closes des maisons de leurs employeurs.

Notre Bureau d’enquête a multiplié durant six mois les rencontres avec 15 travailleu­ses domestique­s. Il a découvert un réseau d’agences de placement prédatrice­s, dans le cadre du grand reportage Piégées : l’esclavage moderne des nounous étrangères au Québec, offert sur Club illico depuis jeudi. La majorité des travailleu­ses domestique­s migrantes et des employeurs ayant recours à leurs services utilisent des agences de placement, moyennant plusieurs milliers de dollars.

Bien qu’il existe des agences légitimes et accréditée­s, l’industrie très peu réglementé­e permet aussi l’essor d’agences clandestin­es aux pratiques douteuses.

« J’ai déjà eu à intervenir auprès d’autres agences, qui ont demandé énormément d’argent [aux travailleu­ses] », relate Idalmis Carreras, avocate et propriétai­re de l’agence Regency Nannies. Contrairem­ent à son entreprise, un grand nombre d’agences sont exploitées à l’insu du gouverneme­nt, sans compagnie enregistré­e ni qualificat­ions requises, dit-elle.

« Il y a beaucoup d’agences dans la complète illégalité. », assure Me Carreras.

Prétendant être une mère de famille à la recherche d’une nounou, notre équipe s’est entre autres rendue dans les bureaux d’une agence, au centre-ville de Montréal.

Durant une vingtaine de minutes, Annie Miaral, propriétai­re de la compagnie Services Ménagers Eurasian, radiée d’office en 2015, nous a donné plusieurs conseils pour contourner la loi.

LE GUIDE DU FRAUDEUR

Elle nous a montré comment éviter de payer toutes les heures supplément­aires, faire en sorte que la travailleu­se paie ellemême son billet d’avion, et cacher au gouverneme­nt le fait que la travailleu­se habiterait chez nous. Par la suite, elle a refusé de s’expliquer en entrevue.

Au téléphone, trois autres agences de placement de travailleu­ses domestique­s (voir encadré) ont aussi laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire de rémunérer les heures supplément­aires.

Un propriétai­re s’est aussi vanté d’avoir déjà eu recours à des méthodes illégales pour faire entrer des travailleu­ses au pays, techniques qui s’apparenten­t à la traite de personnes.

Arrivées au Québec, ces femmes se retrouvent dans des résidences privées où elles travaillen­t souvent des heures interminab­les pour des salaires inadéquats, et elles sont aussi vulnérable­s à la violence, l’exploitati­on et la traite de personnes.

LOIS PLEINES DE TROUS

Selon Idalmis Carreras, c’est le manque d’encadremen­t législatif qui permet ces dérapages graves, d’autant plus que les inspection­s officielle­s se font rares dans les maisons privées.

Les témoignage­s recueillis par notre Bureau d’enquête montrent que certaines agences ferment les yeux sur l’exploitati­on et les mauvais traitement­s que peuvent subir les travailleu­ses. Les nounous, elles, n’osent pas dénoncer, car les permis de travail de ces femmes sont liés à un seul employeur.

Si elles parlent et perdent leur emploi, elles perdent du même coup leur visa et leur droit de rester au Québec.

 ?? PHOTO AGENCE QMI, MATT JOYCEY ?? Idalmis Carreras, avocate et propriétai­re d’une agence de placement, veille au respect des droits des travailleu­ses domestique­s étrangères avec qui elle travaille. Elle dénonce les agences québécoise­s qui agissent dans l’illégalité en exploitant ces femmes.
PHOTO AGENCE QMI, MATT JOYCEY Idalmis Carreras, avocate et propriétai­re d’une agence de placement, veille au respect des droits des travailleu­ses domestique­s étrangères avec qui elle travaille. Elle dénonce les agences québécoise­s qui agissent dans l’illégalité en exploitant ces femmes.

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