Le Journal de Montreal

LE BONHEUR RETROUVÉ DE MICHEL DION

Souffrant de depression, le gardien avait quitté le Colisée plein match

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Pour Michel Dion, la première saison à Québec en 1979-80 aura été celle d’un gardien qui s’est fait remarquer comme un battant qui donnait une chance aux Nordiques tous les soirs. Puis, la deuxième a tourné au vinaigre quand il a quitté la glace au beau milieu d’un match, en proie à des problèmes personnels. Près de 40 ans plus tard, l’homme fait tomber le masque sur cet épisode houleux qu’il regrette toujours, mais avec lequel il s’est réconcilié.

Durant sa première saison à Québec, qui coïncide avec les débuts des Nordiques dans la LNH, Dion savoure le moment. Chaque victoire est saluée et accueillie comme une surprise. Il prend part à 50 matchs, affichant une moyenne de buts alloués très respectabl­e pour l’époque de 3,71, derrière une équipe d’expansion.

« Chaque victoire, surtout celles contre Montréal, fait partie de mes plus beaux souvenirs. Je dois beaucoup aux gens de Québec et je suis très fier de les avoir représenté­s. Pour moi, les Nordiques, c’est l’équivalent

de 20 beaux moments contre un seul mauvais », réfléchit à voix haute l’ex-cerbère, de sa demeure en Caroline du Sud, où Le Journal l’a joint.

UNE SORTIE FOUDROYANT­E

Mais voilà, tout ne tournait clairement pas rond. Il y avait d’abord une épouse américaine malheureus­e comme les pierres à Québec. Puis, une vie familiale difficile entre un père qu’il aimait profondéme­nt, mais qui montrait « de grandes variations émotives », et un frère bipolaire.

À 25 ans, Michel Dion vivait ses premières expérience­s dans la LNH, l’aboutissem­ent d’un rêve. Aux yeux du public, il avait tout pour jouir du bonheur. Derrière le masque, une grande noirceur l’étouffait insatiable­ment.

Jusqu’au fameux soir du 10 décembre 1980, face aux Bruins de Boston, au Colisée. Le fameux seul mauvais moment auquel Dion fait allusion survient.

Après le quatrième but des visiteurs en deuxième période, le gardien, ne sentant pas la force de résister à une foule qui le conspue, décide soudaineme­nt de quitter la patinoire et d’abandonner ses coéquipier­s. Un geste qui, évidemment, ne sera pas pardonné par la direction des Nordiques, qui vend ensuite son contrat aux Jets de Winnipeg.

« Je me rappelle comme si c’était hier. Je vivais de gros combats personnels à ce moment-là. Ce matinlà, nous avions un entraîneme­nt optionnel et je ne sentais même pas la force de mettre mon équipement. Je n’avais aucune énergie.

« Je me suis dit que j’allais quand même essayer de jouer le soir… J’aurais dû m’exprimer, mais à cette époque-là, on ne parlait pas de dépression et on ne savait pas comment la reconnaîtr­e. Je ne savais pas ce que j’avais. Il faut des années pour avoir la sagesse de comprendre et je n’avais pas la maturité ni l’aide pour y arriver », confie-t-il aujourd’hui.

UNE PRIÈRE SALUTAIRE

Une fois la colère passée, c’est sous le jet de douche, dans le vestiaire, que Dion a réalisé l’ampleur de son geste.

Religieux de nature, il s’est tourné vers la prière pour l’aider à voir une parcelle de lumière à travers

le sombre rideau qui obscurciss­ait son esprit.

« Je me suis dit que j’avais été élevé catholique, mais que je n’avais jamais vraiment vécu en relation personnell­e avec le Seigneur. Je lui ai dit que je venais de faire une belle bêtise et que ma carrière était compromise. Je ne savais plus à qui m’en remettre pour me sortir de là, et ce qui est impossible pour l’homme est possible pour Dieu », raconte l’homme toujours profondéme­nt ancré dans sa foi.

PARMI LES ÉTOILES

Le passage chez les Jets aura été de courte durée, jusqu’à la fin de la saison. Mais contre toute attente, Dion a ensuite relancé sa carrière de brillante façon avec les Penguins de Pittsburgh. Au point d’être reconnu parmi la crème de sa profession en étant invité au match des étoiles, en 1982.

« J’ai toujours dit que sans ma prière au Colisée, il n’y aurait jamais eu de match des étoiles », croit-il encore dur comme fer.

« Aujourd’hui, je regarde le fiasco de Québec comme un moment qui m’a finalement amené du bien. C’est une force qui est venue d’une faiblesse. Comme quoi, dans les mauvais moments, si tu gardes la bonne attitude, tu te donnes une deuxième chance. »

TOUJOURS UN COMBAT

À 65 ans, Michel Dion n’a plus rien du jeune homme tourmenté qu’il était à Québec. Heureux depuis 1992 dans son second mariage, il vit maintenant en quelque sorte son deuxième rêve, lui qui enseigne le golf en Caroline du Sud, où il réside.

Il sait toutefois pertinemme­nt à quel point la dépression s’avère un ennemi qui peut s’inviter à tout moment, sournoisem­ent, pour tenter de contrecarr­er chaque parcelle de bonheur qu’il parvient à se forger.

« Je me suis battu toute ma carrière, et même après, contre la dépression. C’est quelque chose qui court dans la famille. Je me suis demandé longtemps pourquoi je pouvais être malheureux. J’étais seul dans ma tête, sans traitement. Au fil du temps, j’ai demandé de l’aide et j’ai compris que c’est un débalancem­ent dans ton cerveau, que tu n’es pas responsabl­e de ça. J’ai obtenu l’aide qu’il me fallait », constate-t-il.

Et dans tout ce cheminemen­t, Michel Dion a eu plus de difficulté à se pardonner à lui-même qu’aux partisans de Québec qui ne pouvaient deviner le désarroi qui le hantait.

« Ce soir du 10 décembre 1980, c’est encore un regret dans ma vie, c’est certain. Si je pouvais revenir en arrière, je réagirais autrement, mais je refuse qu’un moment difficile me fasse oublier tous les beaux moments vécus à Québec. C’était mon problème à moi, pas celui des gens de Québec. Ils se sont attaqués à ma performanc­e et pas à moi », explique-t-il avec une sagesse qui l’honore.

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 ?? PHOTO D’ARCHIVES, LE JOURNAL ?? Michel Dion avait quitté subitement le match, sous les yeux de ses coéquipier­s et de l’entraîneur Michel Bergeron, après avoir concédé un quatrième but aux Bruins de Boston, le 10 décembre 1980.
PHOTO D’ARCHIVES, LE JOURNAL Michel Dion avait quitté subitement le match, sous les yeux de ses coéquipier­s et de l’entraîneur Michel Bergeron, après avoir concédé un quatrième but aux Bruins de Boston, le 10 décembre 1980.

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