Le Journal de Montreal

Le Kurde, la brute et le truand

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J’ai songé, pendant un moment, à intituler cette chronique « Les grands trahis de l’Histoire ». Les Polonais y auraient naturellem­ent occupé une place importante, eux qui ont été abandonnés aux nazis et aux Soviétique­s en 1939, puis à l’influence soviétique pendant un autre demi-siècle après la défaite allemande. Sauf que les Kurdes, depuis le début du 20e siècle, subissent vacherie sur vacherie. Et cette fois-ci, ils se sont fait avoir par deux salauds.

Aux Kurdes, on avait promis l’autonomie après l’éclatement de l’Empire ottoman. Pression des uns, pression des autres, lâcheté des Anglais, faiblesse des Français, bref, ils se sont retrouvés, après 1920, sans État et dispersés entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.

Discrimina­tion et massacres par les Turcs ont engendré la création dans les années 1970 de groupes paramilita­ires luttant pour l’indépendan­ce kurde. Les attaques contre l’armée turque ont conduit à une répression féroce à laquelle les activistes kurdes ont répondu à coups d’attentats terroriste­s. Du coup, difficile en Turquie de présenter ces militants kurdes comme de « bons gars ».

Entre-temps, l’immense bourbier qu’est devenu le Moyen-Orient après l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 a permis aux Kurdes irakiens de se dégager un espace autonome dans le nord du pays. C’est ce qu’ils avaient aussi réussi dans le nord de la Syrie, en combattant avec courage et discipline les extrémiste­s de l’État islamique.

« SULTAN DES TEMPS MODERNES »

Il y aurait beaucoup à dire sur Recep Tayyip Erdogan, ancien maire d’Istanbul, ancien premier ministre et président de la Turquie depuis 2014. Les espoirs de démocratie et d’unificatio­n des Turcs qui ont accompagné sa montée au pouvoir se sont dissous dans le populisme, la paranoïa et la répression. C’est là, par exemple, qu’on emprisonne le plus de journalist­es ; plus qu’en Chine ou en Arabie saoudite.

Certes, la Turquie, ces jours-ci, en a plein les bras avec les millions de réfugiés que la guerre civile syrienne a poussé de son côté de la frontière. Sauf que l’éventuel transfert de ces réfugiés dans la « zone de sécurité » de 32 kilomètres de large et de centaines de kilomètres de long que l’armée a reçu le mandat de dégager en territoire syrien ne se fera qu’en chassant les Kurdes qui habitent le secteur. Personne ne doit se leurrer, c’est une épuration ethnique annoncée.

Au plus fort du califat de l’État islamique, c’est via la Turquie que les djihadiste­s s’approvisio­nnaient en armement et recrues. Parallèlem­ent, le gouverneme­nt d’Erdogan, toujours plus islamisant, diabolisai­t les minorités ethniques et religieuse­s, tout en achetant de l’équipement militaire russe à l’encontre de ses engagement­s comme membre de l’OTAN. Nikki Haley, l’ancienne ambassadri­ce américaine à l’ONU, a résumé simplement ce dont plusieurs se doutaient depuis un moment : #TurkeyIsNo­tOurFriend.

MALICIEUX OU JUSTE IGNORANT ?

Il y a de ces définition­s qui collent parfaiteme­nt, et celle du truand convient à Donald Trump comme un gant : « Personne sans scrupules qui abuse de la confiance ou de la naïveté d’autrui ». Le président américain présente sa décision de déplacer les troupes américaine­s en Syrie comme une promesse électorale remplie.

C’est pourtant du Trump tout craché, entretenan­t, encore une fois, une relation purement transactio­nnelle : les Kurdes ont été appréciés tant qu’il fallait se débarrasse­r des islamistes. Ils se sont ensuite fait jeter sans la moindre gène ou considérat­ion historique, ce dont on n’escomptait pas, soyons francs, du président américain. Il s’agissait de l’entendre, mercredi, leur reprocher de ne pas « nous avoir aidés en Normandie » pour comprendre que l’histoire… ce n’est pas sa matière forte.

Les profiteurs de cette débâcle font la chaîne : Vladimir Poutine, les ayatollahs iraniens, les islamistes de l’ÉI et tous ceux, un peu partout, qui se frottent les mains de la perte de fiabilité des Américains à travers le monde.

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