2 MINUTES 45 SECONDES POUR DES PILULES
Facile d’obtenir des prescriptions d’antidépresseurs
Des médecins oeuvrant dans des cliniques sans rendez-vous prescrivent rapidement des médicaments pour traiter la dépression ou l’anxiété, parfois au terme de consultations express qui durent moins de trois minutes.
C’est le constat troublant qu’a fait une collaboratrice de la plateforme numérique Tabloïd, qui est parvenue à obtenir 10 ordonnances en autant de visites dans des cliniques médicales de la grande région de Montréal, qu’elle avait préalablement obtenues par le biais du site web Bonjour-Santé.
Chaque fois, l’auteure de ces lignes n’a eu qu’à évoquer des symptômes de dépression et d’anxiété pour repartir avec une ordonnance d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques.
Ces 10 visites dans des cliniques médicales sans rendez-vous, dont aucune n’a duré plus de 15 minutes, se sont parfois soldées sans prévoir de suivi (voir encadré).
Lors de l’une de ces consultations, il n’a fallu que 2 minutes 45 secondes pour repartir avec une ordonnance d’Ativan, un médicament utilisé pour traiter l’anxiété.
« Deux minutes quarante-cinq, c’est court en maudit », lance la Dre Karine J. Igartua, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec.
À la suite d’un autre bref rendez-vous, un médecin a remis une ordonnance d’Ativan et de Sertraline, utilisé comme antidépresseur.
La psychiatre Igartua estime qu’il est particulièrement troublant que des omnipraticiens travaillant dans des cliniques sans rendez-vous doivent prescrire des antidépresseurs.
« La liste d’attente pour avoir un médecin de famille, c’est le premier signe que notre système de santé est malade, dit la Dre Igartua. Personnellement, j’aurais d’abord prescrit de l’Ativan pour une semaine ou deux pour bien dormir et j’aurais suggéré de faire du sport et de voir des amis. Trente minutes de cardio, trois à cinq fois par semaine, pour une dépression légère, c’est aussi efficace qu’un antidépresseur. Si ça n’avait pas fonctionné, j’aurais suggéré une psychothérapie et seulement après tout ça, on aurait envisagé une médication », a soutenu la spécialiste.
CRÉER UNE DÉPENDANCE
Des médicaments obtenus lors de l’expérience peuvent créer une dépendance, explique Manon Lambert, directrice de l’Ordre des pharmaciens.
« Surtout si on l’a prescrit pour une longue période, ça va être important du côté du pharmacien de faire le travail de surveillance de la thérapie médicamenteuse », souligne-t-elle.
Le Journal révélait il y a quelques semaines que la consommation d’antidépresseurs a connu une hausse de 68 % en cinq ans chez les filles de 17 ans et moins.
Et si la quantité d’antidépresseurs a augmenté au fil des ans, c’est parce qu’ils sont plus faciles à prescrire puisqu’ils sont mieux tolérés par les patients, avait soutenu le psychiatre Gilles Chamberland.
« Tous les médecins de famille en prescrivent sans trop d’hésitation. C’est beaucoup plus accessible que ce l’était », disait-il.
Si de tels médicaments sont aussi faciles à obtenir, c’est parce que les médecins agissent par prudence devant la détresse des patients, précise wJean-Pierre Dion, porte-parole de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec
PROGRAMME À VENIR
« Il a été prouvé que la psychothérapie, ça coûte moins cher que la médication, affirme la Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. Qu’est-ce qui fait qu’on en rembourse un et qu’on ne rembourse pas l’autre, alors qu’on sait que ça prend les deux pour avoir un traitement optimal ? »
Plusieurs intervenants en santé attendent ainsi impatiemment le déploiement complet du Programme québécois de psychothérapie pour les troubles mentaux, annoncé par Gaétan Barrette à la fin de 2017. À terme, toute personne présentant un trouble mental fréquent, quel que soit son âge, aurait accès à des services de psychothérapie sans frais. La deuxième phase d’essai du programme est en cours dans la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec.