Beaucoup de bruit pour rien
LEGAULT
En situation multipartite, les campagnes électorales sont de véritables boîtes à surprises. Le scrutin fédéral ne fait pas exception. Après un mandat seulement, les libéraux de Justin Trudeau disputent aux conservateurs la possibilité d’un prochain gouvernement minoritaire. Qui l’eût cru ?
Or, un dénouement imprévisible comporte aussi son lot d’effets pernicieux.
Ainsi, en fin de campagne, au lieu de braquer les projecteurs sur les programmes des partis, l’attention bifurque sur une brochette hallucinante de possibles scénarios post-électoraux.
On se demande si le prochain gouvernement sera libéral ou conservateur, minoritaire ou majoritaire ? S’il est minoritaire, y aura-t-il ou non la formation d’une « coalition » de deux ou trois partis ? Quel parti détiendra la « balance du pouvoir » ? Quel chef démissionnera après l’élection ? Etc.
Face à autant d’inconnu, le même vieux réflexe prend le dessus : faut-il « voter stratégique » ? Si oui, comment ? Et « voter stratégique », c’est quoi au juste ?
Pour le dire simplement, c’est voter pour un parti politique que l’on croit être le plus susceptible de bloquer la prise du pouvoir par un autre parti dont on ne veut absolument pas. C’est clair ? Non ? Vous avez parfaitement raison.
LÉGENDE
En fait, le vote stratégique est une vieille et mystérieuse créature politique. Comme le monstre du Loch Ness, plusieurs pensent l’avoir vu, mais on peine encore à trouver des preuves tangibles de son existence. Dans notre mode de scrutin dit uninominal à un tour, la réalité est pas mal plus compliquée.
Pour voter vraiment « stratégique », chaque électrice et chaque électeur devrait se métamorphoser en super expert. Il faudrait donc suivre les sondages de très près. Y compris les projections régionales, provinciales et fédérales. Connaître en profondeur l’historique détaillé du vote dans sa circonscription. Calculer les probabilités de l’impact de son propre vote sur les résultats finaux dans son comté et au pays. Etc.
Bref, le vote dit « stratégique » est une belle et grande illusion. Heureusement, la vérité est que le vote n’est pas une science exacte. Il serait grand temps qu’on se le dise. Pis encore, trop d’élucubrations sur le « vote stratégique » risquent à tout coup de pervertir le processus démocratique.
EFFETS PERNICIEUX
Comment ? En court-circuitant la volonté populaire. Laquelle, dans les faits, n’est que la somme totale de chaque choix fait par chaque électeur dans l’isoloir. Ces choix reposent sur une pléthore de raisons disparates et non pas
sur des calculs individuels illusoires.
Les électeurs ne votent pas pour un gouvernement majoritaire ou minoritaire. Chacun et chacune vote pour une ou un candidat d’un parti politique dans sa circonscription. Point.
De penser que l’électorat agit comme s’il s’agissait d’une seule personne avec une seule tête, capable en plus de voter « stratégique », c’est aussi véridique qu’un billet de trois dollars.
Conclusion : sondages serrés ou non, résultats imprévisibles ou non, voter demeure une responsabilité majeure en démocratie. Aussi bien la prendre en respectant tout d’abord ses propres convictions. Ce serait déjà ça de pris.