Le Journal de Montreal

SCOTTY UNTRÈS GRAND LIVRE

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@quebecorme­dia.com

Ken Dryden avait déjà écrit un très grand livre, The Game, qui racontait la vie d’une grande équipe et de grands joueurs. Le Canadien des années 1975-1979.

La première traduction était atroce et avait gâché l’oeuvre de Dryden. Plus tard, on a republié le livre sous le titre Le

Match. Le titre était quelconque, mais la traduction très bonne.

The Game fait partie des trois meilleurs livres que j’aie lus sur le sport. Avec The Greatest, la biographie de Muhammad Ali écrite à la première personne par Richard Durham, et Open, l’autobiogra­phie d’Andre Agassi.

Dommage pour lui, mais Agassi va devoir faire de la place à SCOTTY ,le nouveau livre de Ken Dryden.

Et où faudra-t-il placer Scotty sur le podium ? Je le saurai quand je l’aurai lu au moins trois ou quatre fois, comme je l’ai fait avec The Game et The Greatest.

Mais après une lecture, je sais déjà que j’ai eu le bonheur d’entrer dans l’univers d’un extraordin­aire sujet et d’un très grand écrivain.

La symbiose entre l’esprit vif et acéré de Scotty Bowman et la profondeur et l’intelligen­ce de Ken Dryden est tellement grande, tellement réussie, qu’en de longs moments, on ne sait plus comment Dryden arrive à entrer dans le cerveau de Bowman, et si les pensées et réflexions sont de Bowman ou de Dryden. C’est troublant et fascinant.

LE BEL ÉTALON

Par exemple, il y a une longue réflexion sur l’abandon de la ligne rouge depuis des années dans la Ligue nationale. Est-ce Bowman, est-ce Dryden, ou est-ce les deux lors de leurs dizaines d’entretiens, qui arrivent à une analyse brillante sur les conséquenc­es de cette décision ? En fait, loin d’ouvrir le jeu, l’abandon de la ligne rouge n’a fait que retenir les défenseurs et les empêcher d’aller appuyer l’attaque comme pouvaient le faire les grands comme Bobby Orr, Guy Lapointe ou Larry Robinson.

Ce n’est qu’un exemple.

Et Dryden est un formidable raconteur. Il laisse toute la place à Bowman, mais c’est sa vision qui donne la richesse ajoutée à l’oeuvre. Personne d’autre que lui n’aurait pu écrire ce livre. Parce que son point de vue est unique.

Par exemple. Philippe Cantin vient de publier un bon ouvrage sur Serge Savard. Mais Cantin, comme moi et mes confrères, a toujours vu Savard des gradins ou d’une passerelle de presse.

Ken Dryden, lui, a vu Savard de son filet. Il a senti la puissance de son coup de patin, son équilibre extraordin­aire fondé sur des jambes fortes et des hanches larges, et ses enjambées en relance. Personne d’autre n’aurait pu écrire que Savard « avait la puissance d’un percheron et l’élégance d’un étalon ».

Fallait le voir sur la glace. À sa hauteur. La puissance du percheron dans un chantier de l’Abitibi et l’élégance d’un étalon quand Savard faisait sa célèbre pirouette et relançait l’attaque en quelques enjambées.

UNE INTIMITÉ TROUBLANTE

C’est cette intimité avec Bowman, qui l’a dirigé pendant presque une décennie, et avec le hockey, que Dryden aime passionném­ent, qui crée le génie de ce livre. Dryden a été assez proche de Bowman pour comprendre comment il s’est senti à Buffalo, à Pittsburgh et pendant ses 13 dernières années avec les Red Wings de Detroit.

Ça prenait un auteur qui avait partagé l’intimité du grand coach et des grands joueurs pour raconter comme il le fait le précaire équilibre que gardait Bowman en gérant le temps de jeu de grandes vedettes comme Sergei Federov et Steve Yzerman.

C’est extraordin­aire et ce que raconte Bowman ou Dryden peut s’appliquer à une entreprise comme Québecor ou un gouverneme­nt comme celui de François Legault. Arriver à ce que les meilleurs acceptent de s’effacer pour le bien de l’équipe tout en gardant une déterminat­ion de feu.

C’est 70 ans de vie et d’histoire que vous allez découvrir. Par l’intérieur. La vie de Verdun, l’histoire de Sam Pollock, l’éclosion de Guy Lafleur, la grandeur de Mario Lemieux, vous allez vivre les arénas de campagne, les grands stades des

grands défis ; c’est l’esprit d’un homme comme il n’y en a jamais eu d’autres, Scotty, qui vous fera vivre ces merveilles. Grâce à l’esprit d’un homme comme il n’y en a pas eu d’autres dans le hockey, Dryden. Le mariage des deux est un miracle.

DES ANNÉES DE TRAVAIL

Il y a trois semaines, j’ai eu le plaisir de jaser avec Bowman lors d’un événement caritatif à Montréal. Il me racontait comment Dryden l’avait convaincu de plonger dans cette expérience. Deux fois par semaine, les lundi et jeudi d’habitude, Bowman appelait Dryden. Ils discutaien­t pendant une heure et demie, parfois deux. Des semaines, des mois, des années.

En tout, 1500 pages d’entrevues transcrite­s. La mémoire de Scotty est fabuleuse, mais il a quand même fallu vérifier les dates, les scores, les faits parfois brutaux.

Le génie de ce livre, c’est que Dryden ne s’est pas contenté de résumer les déclaratio­ns et les anecdotes. Il a fait siens ces confidence­s et ces souvenirs. Il les a intégrés. Scotty est devenu Kenny et Ken est devenu Scotty.

C’est très rare que ça réussisse. Souvent, le sujet écrase l’auteur. Ou vice-versa. Cette fois, le miracle s’est produit.

Vous allez avoir un avant-goût avec de nombreux extraits choisis dans l’édition du Journal de demain. Préparez votre café. Fermez le téléphone.

DANS LE CALEPIN | Une note de félicitati­ons pour le traducteur Serge Rivest. Je connais assez le style de Dryden pour savoir que M. Rivest a su rendre la richesse et la chaleur de ce brillant auteur.

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