Le Journal de Montreal

LE RÉCIT DE L’ARRESTATIO­N DE L’EX-VICE-PREMIÈRE MINISTRE

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17 MARS 2016 6h06

Le lieutenant-détective Yannick Collins, du Service de police de la Ville de Montréal, et le sergent-enquêteur Carl Boulianne, de la Sûreté du Québec, entrent dans l’immeuble où réside Nathalie Normandeau à Québec.

6h08

Mme Normandeau ouvre la porte de son appartemen­t aux deux policiers. Elle est seule. Les policiers expliquent qu’ils ont un mandat d’arrestatio­n.

6h10

Mme Normandeau est mise en arrestatio­n par le lieutenant-détective Collins. « Beaucoup de larmes, mais de façon calme », note le policier dans son calepin. Il écrit qu’elle a « bien compris la situation, mais pas le pourquoi ». « Je ne me suis jamais mis d’argent dans les poches. Ma vie est finie. Ma famille, mes parents, ma vie est finie », dit-elle.

Les enquêteurs la laissent se « remettre de ses émotions » pendant « quelques minutes ».

6h18

Mme Normandeau est autorisée à appeler son avocat, Maxime Roy, à qui elle laisse un message.

6h21

Me Roy rappelle sa cliente. Le lieutenant-détective Collins lui explique la raison de la présence des policiers. Selon lui, il serait « préférable » que Mme Normandeau les suive au quartier général de la Sûreté du Québec (SQ), à Québec. L’ancienne ministre libérale prend ensuite le téléphone et va dans sa chambre pour parler avec son avocat. Les deux policiers sortent dans le couloir à l’extérieur de l’appartemen­t en laissant la porte entrouvert­e. « Impossible d’entendre », note le lieutenant Collins.

6h40

Mme Normandeau a terminé son appel. Elle accepte de suivre les policiers.

6h50

Les policiers sortent avec leur prévenue, qui n’est pas menottée.

6h57

En chemin, Mme Normandeau est autorisée à aviser par téléphone son employeur, la station de radio FM93, qu’elle ne pourra pas animer son émission quotidienn­e.

7h15

Arrivée au quartier général de la SQ. Après vérificati­on qu’il n’y a aucun journalist­e, ils entrent tous les trois par l’entrée principale.

7h35

Mme Normandeau est assise dans une petite salle d’interrogat­oire derrière une table. Les coudes appuyés sur la table, elle se tient, immobile, la tête dans les mains.

7h38

Le sergent-détective Boulianne vient la rejoindre. Il s’exprime doucement, avec précaution, sur un ton qu’il conservera tout le long de leurs échanges. Il explique que l’interrogat­oire est filmé. Le policier propose à la femme de récapitule­r la séquence des événements à partir du moment où son collègue et lui ont frappé à sa porte. « Vous vous êtes présentés. Je me suis assise et j’ai encaissé le coup », dit-elle.

« Je pense qu’émotivemen­t, ça a été assez difficile pour vous », souligne M. Boulianne.

« Oui », admet-elle.

7h50

Le policier lui explique chacun des huit chefs d’accusation retenus contre elle, dont fraude, abus de confiance, complot et corruption. L’ex-ministre demande de quoi écrire. On lui offre un stylo. Elle se tient bien droite et prend des notes en écoutant. Le sergent-enquêteur Boulianne lui explique ce que signifie le mot « contrepart­ie ».

« Vous avez dit ce matin vous ne vous êtes pas mis d’argent dans les poches. C’est vrai. La contrepart­ie c’est le financemen­t que vous avez obtenu pour le PLQ [Parti libéral du Québec]. C’est de cet argent dont on parle dans le dossier », dit-il.

Le policier poursuit en parlant de subvention­s qui n’auraient pas dû être données ou qui l’ont été « à l’encontre de décisions de fonctionna­ires ».

« Les fonctionna­ires ne décident pas, les fonctionna­ires recommande­nt », laisse tomber l’ex-politicien­ne.

« C’est relié à ça », répond le policier.

8h07

Mme Normandeau demande la liste des dossiers de subvention­s dont il s’agit. Le policier lui répond que cela sera possible plus tard.

8h09

Toujours avec précaution, le sergent-enquêteur Boulianne lui demande comment elle se sent. « Pas très bien, vraiment pas très bien. J’estime que j’ai fait mon travail de ministre. C’est tout », dit-elle.

« Pour vous donc, ce que je vous ai expliqué, vous avez seulement fait votre travail ? » renchérit Boulianne.

« Mon avocat n’est pas ici et tout ce que je dis pourra être retenu contre moi », précise l’ex-ministre en réclamant de pouvoir consulter son avocat avant de répondre.

8h11

Mme Normandeau raconte qu’elle aurait souhaité que l’UPAC lui offre la possibilit­é de donner sa version avant de l’arrêter.

« Je veux bien collaborer avec vous mais pas dans ces circonstan­ces », dit-elle.

Elle soutient avoir téléphoné au commissair­e Robert Lafrenière pour lui proposer une rencontre, environ trois ans plus tôt. Un « adjoint » l’a rappelée, mais l’UPAC n’a pas donné suite.

8h15

Dans son calepin, le lieutenant-détective Collins, qui suit de l’extérieur le déroulemen­t de l’interrogat­oire, écrit que des vérificati­ons ont été faites auprès du policier à qui Mme Normandeau avait fait sa propositio­n. Il note que celle-ci avait exigé la présence de son avocat.

8h19

On frappe à la porte de la salle d’interrogat­oire. Le sergent-enquêteur Boulianne s’excuse auprès de Mme Normandeau et sort.

8h23

Le policier revient et lui transmet les informatio­ns obtenues par son collègue. Combative, Mme Normandeau soutient qu’elle n’a pas exigé d’être accompagné­e par son avocat.

« Je ne me souviens pas du tout d’avoir imposé de conditions », dit-elle.

« Dans ce type de rencontre là, on ne fait pas de rencontres avec des avocats », explique le policier.

8h30

Le sergent-enquêteur Boulianne invite une nouvelle fois l’ex-ministre à s’expliquer. Elle répond pourquoi elle ne le fera pas. Elle pointe le document où sont écrits les chefs d’accusation contre elle.

« Ça, c’est très lourd de conséquenc­es », dit-elle, avec une colère contenue. « Ma vie vient de s’effondrer ce matin. »

Sa colère l’emporte. Des sanglots dans la voix, elle se plaint que la présomptio­n d’innocence n’existe pas. Elle sera « condamnée avant d’avoir été formelleme­nt accusée ».

« Ma vie vient de s’écrouler », répète-t-elle.

8h36

Le policier sort chercher des mouchoirs qu’il revient poser sur la table. En pleurs, Mme Normandeau est effondrée. Il la laisse seule.

8h39

Le sergent-enquêteur Boulianne revient brièvement. Avant de ressortir, il lui explique qu’ils ont amorcé les procédures pour sa remise en liberté.

8h41

Le policier Boulianne vient lui remettre son téléphone et la prévient que l’enregistre­ment vidéo se poursuit. Il la laisse seule. Mme Normandeau demeure immobile, accoudée à la table, la tête entre les mains.

9h02

Le policier la tient au courant de l’avancement des démarches. On prépare sa prise d’empreintes digitales, lui explique-t-il avant de repartir.

9h03

Mme Normandeau saisit son téléphone posé devant elle sur la table par le policier il y a une vingtaine de minutes. Elle fait défiler les pages sur son écran et se met à pleurer longuement.

9h16

Mme Normandeau s’est ressaisie. M. Boulianne revient avec des documents. Il s’agit de sa promesse de comparaîtr­e et ses conditions de remise en liberté, qu’il lui fait signer. Aucune restrictio­n territoria­le, lui précise-t-il. « Vous pouvez voyager. » Elle plie ses documents et les met dans son sac.

9h22

Le lieutenant-détective Collins note que l’interrogat­oire est terminé.

9h30

Le policier Collins écrit qu’il a consulté un collègue « pour lui expliquer la vulnérabil­ité de Mme Normandeau ». Selon lui, il ne faut pas la laisser partir seule. M. Collins suggère « qu’elle soit remise à une personne afin d’assurer son bien-être et sa sécurité ». Il reçoit l’autorisati­on « pour des raisons humanitair­es, de la reconduire chez elle où son conjoint sera avec elle ».

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PHOTO COURTOISIE
 ?? PHOTO COURTOISIE ?? En interrogat­oire avec le sergent-enquêteur Carl Boulianne dans les heures suivant son arrestatio­n, le 17 mars 2016, l’ancienne vice-première ministre du Québec Nathalie Normandeau a reproché à la police de ne pas lui avoir donné l’opportunit­é de donner sa version des faits depuis trois ans.
PHOTO COURTOISIE En interrogat­oire avec le sergent-enquêteur Carl Boulianne dans les heures suivant son arrestatio­n, le 17 mars 2016, l’ancienne vice-première ministre du Québec Nathalie Normandeau a reproché à la police de ne pas lui avoir donné l’opportunit­é de donner sa version des faits depuis trois ans.

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