Le Journal de Montreal

LE SOLDAT VENU DES STEPPES

Akhmedov veut redonner à sa famille et à son pays

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@quebecorme­dia.com

Dans le fond, c’est l’histoire de Steven Butler. Celle d’un jeune doté d’une énergie inépuisabl­e qui a toujours le goût de se battre. Et qui, heureuseme­nt, trouve le chemin d’un gymnase.

Sauf que cette fois, au lieu de Montréal-Nord, le jeune grandit à Zhetisay, dans les steppes du sud du Kazakhstan. Son père pratiquait la lutte kazakhe. Et un de ses demi-frères faisait de la boxe. Même qu’il a livré un combat à la télé et a perdu.

« J’ai pleuré et je voulais aller battre son adversaire », raconte Sadriddin Akhmedov.

Et puis, comme le précise Akhmedov, on est au Kazakhstan, pays du foot. Peut-être même pays de la boxe puisque les boxeurs kazakhs ont un formidable ratio de médailles aux Olympiques et que Gennady Golovkin est la deuxième personnali­té au pays… après le président Kassym-Jomart Tokaïev.

L’entretien se passe samedi matin. Le lendemain d’un bon combat présenté à Québec contre Johnny Navarrete, un Mexicain fort de 50 batailles. Une victoire d’apprentiss­age pour le jeune Kazakh de 21 ans. Peutêtre le plus talentueux des jeunes d’Eye of the Tiger Management.

Sadriddin mange ses fruits puisqu’il ne touche pas à la viande non halale pendant que Macha Sitnikova, la blonde de Luc-Vincent Ouellet, traduit du russe.

SI JEUNE ET SI LOIN

Sadriddin n’a que 21 ans. Il n’avait que 19 ans quand Anna Reva a appris qu’il voulait s’en venir en Amérique du Nord. Une entente avec des Américains était tombée à l’eau et Mme Reva, une Kazakhe passionnée de boxe, est entrée en scène. Le jeune champion du monde des moins de 20 ans s’est retrouvé en appartemen­t avec ses compatriot­es Batyr Jukembayev et Nurzat Sabirov.

Mais avoir 19 ans et se retrouver dans le West Island quand on ne parle ni français ni anglais, quand on a laissé ses quatre soeurs et ses parents à Noursoulta­n, le nouveau nom de la capitale, avez-vous une idée à quel point c’est difficile ?

Bien sûr, il y a les rêves. Devenir champion du monde, gagner des millions, mais ça ne fait pas oublier la famille.

« Dans le fond, nous n’étions pas riches, mais j’ai toujours mangé à ma faim », dit-il en souriant. Et là, à part l’entraîneme­nt et les vidéos en kazakh ou en russe, qu’est-ce qu’on fout de sa vie ?

On s’adapte. On découvre les Québécois. Il est toujours aussi profondéme­nt kazakh. D’ailleurs, il se présente sur le ring comme « The soldier of Q » et fait le salut militaire.

« Au début, je voulais être un soldat de Dieu. Mais mon père m’a dit que Dieu n’avait pas besoin d’un soldat. Je suis donc devenu un soldat du Kazakhstan. Le Q, c’est le K dans mon pays. Jeune, je rêvais d’être soldat », dit-il.

Il sourit quand on lui fait remarquer que le Q, c’est aussi le Q du Québec.

« Ma femme va venir me trouver. J’ai déjà rempli les documents avec l’aide d’Anna Reva. J’aime beaucoup les Québécois. Le Québec est maintenant ma deuxième maison. Dans mon pays, les gens sont sévères. Ils ont beaucoup de retenue. Au Québec, les gens sourient, ils t’approchent, ils sont chaleureux. Ils veulent juste prendre le beau côté. La relation avec les gens est facile malgré la langue. C’est très différent », dit-il.

LA BELLE BOTA

Il a bien dit « ma femme » ? Macha vérifie. Sadriddin, qui est un tantinet timide, confirme.

« Je me suis marié en août dernier. Ma femme s’appelle Bota. C’est une chanteuse d’un groupe kazakh très populaire. Le groupe KeshYOU (c’est une sorte de pop aux saveurs d’Asie centrale). Et mes rêves, c’est avec elle que je veux les réaliser. Les titres mondiaux et les millions, ce n’est pas l’essentiel. Je veux que ça serve à découvrir des pays et des cultures. Des traditions différente­s. Le plus important, c’est de redonner aux enfants. Je veux partager ces découverte­s avec mes enfants et les enfants de mes parents. Mon rêve le plus grand, c’est ma famille et la famille de ma femme. Je sais qu’au Kazakhstan, il y a beaucoup d’enfants pauvres. Je veux aider, construire des centres, redonner au pays », dit-il pendant que Macha traduit le plus fidèlement possible sa longue tirade passionnée.

LE RAMADAN

Vous avez déjà compris que Sadriddin Akhmedov est musulman. Ils sont plusieurs dans le gymnase de Marc Ramsay. Artur Beterbiev, Sadriddin, Arslanbek Makhmudov, entre autres. Tous sont de fervents pratiquant­s. Tous observent le ramadan.

« Heureuseme­nt, Marc et LucVincent Ouellet font leur possible pour nous accommoder. Mais ce n’est pas toujours simple », dit-il en faisant la moue.

En fait, il y a une hiérarchie dans le gym. Qu’on parle du ramadan ou de la vie durant les 48 autres semaines. Comme il y a une hiérarchie dans la vie. C’est Artur Beterbiev qui a la priorité. Il est champion unifié et il a une solide ancienneté. Puis, Eleider Alvarez suit. Avec Oscar Rivas et Makhmudov. À 21 ans, Sadriddin doit attendre son tour. Et comme il a beaucoup de caractère, il fait l’effort d’avaler sa pilule.

Mais il monte en grade. Le 7 décembre au Centre Bell, il livrera son 11e combat. À moins qu’une blessure à son coude droit ne l’en empêche. Mais au lendemain de son combat, la blessure ne semblait pas très grave.

UN CÔTÉ BAVEUX

Sadriddin a appris à la dure les codes de la boxe profession­nelle. À son premier combat au Centre Vidéotron il y a près de 18 mois, le pauvre Mexicain qu’il affrontait avait offert à son adversaire de toucher les gants avant d’entamer les hostilités. Au Kazakhstan, cette politesse semblait ignorée. Une terrible droite l’a vite rappelé au Mexicain. À 20 secondes, le combat était terminé. Par knock-out.

Mais dans un couloir, Michel Hamelin, de la Régie des alcools, des courses et des jeux, était en maudit. Il engueulait le jeune Kazakh comme un policier à la retraite qui a gardé les réflexes. Le gamin répondait en russe et Anna Reva ne savait pas trop comment s’y prendre.

« Hé ! Anna, veux-tu lui dire en russe ou en kazakh de fermer sa gueule ? »

La traduction devait être convaincan­te puisque le jeune « soldat » s’était calmé.

Ce même jeune homme si fougueux s’est retrouvé en novembre dernier à Rimouski. Pour le tournage d’un documentai­re, on lui avait prêté une guitare. Il avait partagé une toute petite scène avec Étienne Coton, un ancien de La

Voix et chansonnie­r du Bas-du-Fleuve. Sadriddin avait joué et chanté des mélodies lancinante­s de son Kazakhstan.

Les odeurs du fleuve et les saveurs musicales des steppes kazakhes s’entremêlai­ent…

Michel Hamelin aurait eu les larmes aux yeux. DANS LE CALEPIN | Même si Anna Reva a décidé d’abandonner ses fonctions de gérante de boxeurs, Sadriddin Akhmedov est allé la rencontrer. Il désirait qu’elle continue à le conseiller. Anna a accepté.

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PHOTO DIDIER DEBUSSCHÈR­E Sadriddin Akhmedov a servi une sévère correction à Johnny Navarrete, vendredi dernier à Québec.

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