Le Journal de Montreal

Marc De Foy

Le 5 avril 1970, le Canadien était éliminé des séries dans des circonstan­ces hors de l’ordinaire

- MARC DE FOY marc.defoy@ quebecorme­dia.com

Si vous demandez à Yvan Cournoyer ce qu’il retient pardessus tout de sa glorieuse carrière dans le hockey, il ne vous parlera pas des 10 coupes Stanley qu’il a remportées en 15 ans dans l’uniforme du Canadien. Ni de la légendaire Série du siècle qu’Équipe Canada avait enlevée à l’arraché contre l’équipe nationale de l’Union soviétique, en 1972.

Au contraire de ce à quoi on pourrait s’attendre, Cournoyer a surtout deux mauvais souvenirs. Le premier : la défaite du Tricolore face aux Maple Leafs de Toronto en finale de la coupe Stanley de 1967.

C’était l’année de l’Expo à Montréal. Le garçon de 13 ans que j’étais avait vu la coupe de ses yeux pour la première fois au pavillon de l’Ontario au lieu de celui du Québec.

Sacrilège !

Si l’équipe de Toe Blake l’avait emporté, elle aurait aligné une série de cinq conquêtes d’affilée, comme celle des éditions de 1955-1956 à 1959-1960.

Comme on le disait à l’époque, le Canadien avait ramené la coupe à la maison en 1965, puis à nouveau en 1966. Il revint à la charge lors deux premières saisons de la grande expansion, en 1968 et 1969.

NERESTAITQ­UELE QUATRIÈMER­ANG

Arrive 1970. C’est là que Cournoyer vit son deuxième cauchemar. Mettons en marche la machine à voyager dans le temps. Reculons de 50 ans, jour pour jour.

Nous sommes le dimanche 5 avril 1970. Les partisans du Canadien sont anxieux. L’honneur du Tricolore est en jeu. L’équipe montréalai­se est menacée de rater les séries pour la première fois depuis 1948. Les amateurs retiennent leur souffle.

Le Canadien aurait pu s’assurer la veille d’un laissez-passer pour le tournoi printanier, mais il subit une défaite de 4 à 1 contre les Blackhawks de Chicago, au Forum. L’entraîneur Claude Ruel se dit renversé par la nonchalanc­e de certains de ses joueurs.

Ce faisant, le Tricolore ne peut terminer plus haut qu’au quatrième rang de la division Est, qui regroupe les six formations originales de la Ligue nationale. Les Bruins de Boston et les Blackhawks se disputent la première position, et les Red Wings de Detroit sont assurés d’une place dans les séries.

LESRANGERS EN PROFITENT

Le dimanche après-midi, les Red Wings offrent une affreuse performanc­e dans une défaite de 9 à 5 aux mains des Rangers, au Madison Square Garden. Les New-Yorkais, qui ont dirigé 65 lancers vers le filet adverse, rejoignent le Canadien au quatrième rang avec 92 points. Mais les protégés de Ruel ont encore leur sort entre leurs mains. Un verdict nul ferait aussi bien l’affaire qu’une victoire à Chicago.

Le Tricolore tire de l’arrière 2 à 1 après la première période et 3 à 2 après la deuxième. Rien n’est encore perdu. Mais les Hawks ajoutent deux buts à leur avance dans les 10 premières minutes du troisième engagement.

À ce stade, il est évident que le Canadien et les Rangers vont terminer ex aequo dans les colonnes des points (92) et des victoires (38), qui servent des deux premiers bris d’égalité. Le troisième départage les buts comptés.

Pour devancer les Rangers, le Canadien doit en marquer trois. Ruel recourt au dernier moyen qu’il lui reste. Il rappelle le gardien Rogatien Vachon au banc pour le remplacer par un sixième patineur.

Rien à faire !

Les Hawks lancent la rondelle cinq fois dans le filet désert du Canadien et triomphent 10 à 2 ! Ils terminent la saison avec 99 points, tout comme les Bruins, mais leur nombre supérieur de victoires leur concède le championna­t dans l’Est.

UNE PREMIÈRE POUR LA TÉLÉ

Montréal est sous le choc ! Canadien éliminé !, titre à la une, en grosses lettres noires,Le Journal de Montréal, dans son édition du 6 avril. Pour la première fois depuis l’avènement de la télévision en 1952, on ne verra pas le Canadien dans les séries.

« Nous avons eu notre leçon », dit Cournoyer au journalist­e Jacques Beauchamp, le roi du beat du Canadien à l’époque.

Mais Cournoyer n’avait pas vraiment livré le fond de sa pensée. La rage le consumait à l’intérieur.

DEUXIÈME FOIS

Revenons au 5 avril 2020. Un demi-siècle plus tard, Cournoyer est hors de lui quand il se remémore ces événements. Vraiment. Il traite les Red Wings de tous les noms qui lui passent par la tête. Il ne leur pardonnera jamais leur affreuse performanc­e à leur dernier match du calendrier régulier à New York.

Première fois que je l’entends parler de la sorte. Il est crinqué pas à peu près. Un effet du confinemen­t peut-être…

« Je marche dans tous les sens dans la maison pendant que je te parle, lance-t-il au bout du fil.

« Je me rappelle que les joueurs des Red Wings avaient fêté leur victoire qui confirmait leur présence dans les séries. Je peux te dire qu’ils n’ont pas gagné souvent contre nous dans les années qui ont suivi. »

Cournoyer avait déjà les Red Wings dans le collimateu­r. Après les avoir vus remporter les deux premiers matchs de la finale de 1966 au Forum, lui et ses coéquipier­s avaient vu leurs rivaux sortir leurs poches d’équipement­s du vestiaire, cigares au bec.

« Ils ont commis une erreur monumental­e ce jour-là, continue-t-il.

« Ils n’ont plus gagné un match de la série. »

BENBONPOUR­EUX!

Cournoyer est en verve. Sa haine envers les Red Wings chauffe le hautparleu­r de mon combiné téléphoniq­ue.

« S’ils avaient perdu dans les règles à New York, ça aurait été acceptable, reprend-il.

« Mais nous écoeurer comme ils nous l’ont fait, non. Je connais assez bien mes coéquipier­s de l’époque pour dire qu’on n’aurait jamais agi de la sorte. Nous étions respectueu­x de la game. »

Cournoyer me demande ce que les Red Wings ont fait dans les séries cette année-là. Quand je l’informe qu’ils avaient été balayés en quatre matchs au premier tour par les Blackhawks, sa réplique est cinglante. « Ils ont eu ce qu’ils méritaient ! » Cournoyer va être content d’apprendre que les Red Wings ont été exclus des séries 12 fois au cours des 13 années suivantes.

SAVARD TEMPÈRE

Les joueurs du Canadien étaient comme ça dans le temps. Ils détestaien­t la défaite parce qu’ils n’y étaient pas habitués.

Serge Savard rit de bon coeur quand je lui raconte mon entrevue avec Cournoyer.

« Yvan est un guerrier !, s’exclame-t-il.

« On a ben écoeuré Frank Mahovlich quand on l’a obtenu des Red Wings l’année suivante. On lui disait que ça avait fait plaisir à tout le monde de nous avoir fait sortir des séries. Il répondait toujours ‘‘ben non’’. »

Savard n’était pas à Chicago lors du match fatidique. Il se remettait d’une quintuple fracture à une jambe subie avec 13 matchs à disputer au calendrier régulier.

« Au fond, on a manqué les séries par notre faute, dit-il.

« On avait notre destin entre nos mains. »

ANNÉE MARQUANTE

Il s’en est passé des choses à Montréal et au Québec, en 1970. Six mois après l’éliminatio­n du Canadien, c’était la Crise d’octobre. Le ministre du Travail, Pierre Laporte, fut assassiné. L’armée débarqua en ville.

À la fin novembre, les Alouettes remportère­nt la coupe Grey sous l’impulsion de leur nouveau propriétai­re Sam Berger et de leur nouvel entraîneur-chef Sam Etcheverry.

Début décembre, Claude Ruel remettait sa démission et était remplacé par Al MacNeil. Le même jour, le FLQ libérait le diplomate britanniqu­e James Richard Cross, qu’il avait enlevé deux mois plus tôt, en retour d’un sauf-conduit pour Cuba.

Mais le Canadien revint en force. Le 18 mai 1971, il ramenait la coupe à Montréal en battant les Blackhawks à Chicago. Vengeance avait été faite.

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PHOTOS D’ARCHIVES La une du Journal de Montréal édition du 6 avril 1970 évoquait en larges carrures noires l’exclusion du CH des séries éliminatoi­res. Une défaite que n’a pas encore digérée Yvan Cournoyer qui avait tout donné sur la patinoire.
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