Nos aînés mal-aimés
Lorsque des médecins des CHSLD en sont rendus, comme a écrit hier Yves Boisvert dans La
Presse, à qualifier de génocide gériatrique ce qui se passe actuellement dans certains de ces mouroirs, c’est humainement dévastateur pour tout le Québec. Les CHSLD sont des lieux pour des personnes en fin de vie. La majorité y décède à l’intérieur de deux ans.
La compassion devrait donc être une priorité humanitaire permanente pour ceux qui nous gouvernent. Or, depuis des décennies, ces résidences sont les parents pauvres du système hospitalier. Le manque de ressources et du personnel est flagrant. La pandémie fait éclater cette vérité.
Rien ne préparait la majorité des Québécois à ces scènes d’horreur qui se passent derrière les murs de ces lieux de souffrance. Les personnes en fin de vie sont vulnérables, angoissées et dociles.
Plusieurs souffrent d’Alzheimer ou sont atteintes de problèmes cognitifs divers. Elles sont aussi abandonnées par leur famille, car 10 % seulement des résidents sont visités par leurs proches.
MAL-AIMÉS
Les aînés, expression que l’essayiste Christian Dufour qualifie d’appellation infantilisante, sont des mal-aimés, contrairement au discours lénifiant sur nos vieux.
À quoi a-t-on pensé lorsque dans le but de soigner des patients atteints de la COVID-19 on a vidé les hôpitaux des personnes âgées malades pour les transférer dans les CHSLD ? Beaucoup ont été contaminées et sont mortes dans la solitude par décret gouvernemental.
Rétrospectivement, on peut dire que le trio lyrique, comme je l’ai qualifié dans une chronique, a fait preuve d’un optimisme contagieux. Les Québécois se sont crus à l’abri.
Le Dr Arruda et la ministre de la Santé ont donné des ailes au premier ministre Legault, qui a réussi à imposer sans effort un confinement général. Mais les milliers de lits d’hôpitaux vidés et le nombre alarmant de chirurgies reportées pour faire place à des malades dont le nombre — et c’est tant mieux — est bien moindre que ce que l’on craignait sont des mesures qui ont eu des conséquences sur les CHSLD où sont mortes la plupart des victimes de la COVID-19.
VALEURS
Le Québec ne sortira pas de cette pandémie sans traumatisme et sans remettre en question le bien-fondé de certaines valeurs associées à notre culture.
Il est faux de crier sur les toits que nous aimons les vieux. Il existe un clash générationnel qui s’est accentué avec l’éclatement de la cellule familiale traditionnelle.
Bien des enfants qui ont subi le divorce de leurs parents divorcent à leur tour de leurs parents en quelque sorte. Et ils fréquentent peu leurs grands-parents.
La frénésie de vivre le présent chez nombre de jeunes, coupés de la mémoire collective, cette vieillerie non recyclable, est inscrite désormais dans les moeurs et l’organisation sociale.
Dans certains CHSLD actuellement, les vieux n’ont plus le temps de mourir à leur rythme. Ou ils supplient qu’on les laisse mourir.
Demandez aux soignants épuisés et terrifiés qui les côtoient de témoigner pour que cela se sache.
Pour que l’on se souvienne de cet hiver 2020, le plus terrible dans toute l’histoire du Québec.