Le Journal de Montreal

Expérience traumatisa­nte

Une jeune infirmière lance un cri du coeur afin que du personnel qualifié soit envoyé dans les CHSLD

- FRÉDÉRIQUE GIGUÈRE right clash

L’infirmière Sandrine Valence-Lanoue, 22 ans, raconte comment elle s’est retrouvée responsabl­e en pleine nuit d’une centaine d’aînés, dont le tiers atteints de la COVID-19.

« Je suis sous le choc, les résidents connaissen­t très bien leur situation et nous encouragen­t, alors que c’est euxmêmes qui devraient mériter encouragem­ents et support. On se le cachera pas, ils payent une fortune pour s’y retrouver, et pourtant, le manque de personnel ne leur offre pas une qualité de vie moindremen­t acceptable. »

« À chacun des gestes improvisés que je pose, je suis consciente qu’on met volontaire­ment ma licence en jeu à cause d’une mauvaise gestion du système de la santé qui ne date pas d’hier. »

« J’espère simplement qu’on pourra enfin reconnaîtr­e l’immense et merveilleu­x travail accompli par les employés en CHSLD qui vivent dans des conditions de travail plus qu’abominable­s. » – Sandrine Valence-Lanoue, infirmière

Symbole de la désorganis­ation dans les résidences pour aînés, une infirmière de 22 ans qui n’a pas un an d’expérience a été catapultée dans un CHSLD de Lanaudière, où elle a la charge d’une centaine de patients, dont plusieurs atteints de la COVID-19.

« Je vois des choses ici que je n’étais pas prête à voir. Des gens meurent carrément seuls. Et même nous, on est trop débordés pour aller leur prendre la main », confie Sandrine Valence-Lanoue au Journal.

La jeune infirmière clinicienn­e fraîchemen­t diplômée s’estimait jusqu’ici chanceuse, car elle avait déniché un emploi dans l’unité de natalité d’un hôpital près de chez elle à sa sortie de l’école. En plein ce qu’elle souhaitait.

Elle y a travaillé environ 10 mois avant d’être soudaineme­nt transférée, la semaine dernière, dans un centre d’hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD) où la situation est jugée critique, avec près du tiers des résidents atteints de la COVID-19.

« Je suis la dernière dans la liste d’ancienneté, alors c’est moi qu’ils ont envoyée à cause de la crise et je n’ai pas eu le choix, dit-elle. J’ai été avisée la journée même où je devais commencer. »

Mme Valence-Lanoue s’est donc rendue dans la résidence pour personnes âgées, dont on taira le nom, pour son quart de nuit.

LE CHAOS

À son arrivée, c’était le chaos, selon ce qu’elle a relaté dans une touchante publicatio­n Facebook, qui a généré des milliers de commentair­es et de partages au cours des derniers jours.

« Au moment où je mets les pieds dans le poste, l’équipe de soir, complèteme­nt submergée par ce qu’elle vient de vivre comme shift, me garroche un téléphone dans les mains. “C’est toi l’infirmière ? Tiens, ça tu le gardes en tout temps sur toi, n’importe qui peut t’appeler, t’as intérêt à répondre, c’est toi qui gères” », écrit-elle, en décrivant la scène.

« Ça tourne autour de moi, tout le monde crie, essaie de comprendre où ils sont, ce qu’ils doivent faire. Trente secondes passent, je reçois un appel. Une voix hurle, clairement écoeurée et dépassée : “C’est toi l’infirmière,

? Elle est où notre relève au deuxième étage ? Envoyez-la, pis tout de suite, parce que nous, on a hâte de crisser notre camp”. »

Mme Valence-Lanoue a alors réalisé qu’elle était la seule infirmière clinicienn­e pour les deux premiers étages. Autrement dit, elle en avait la charge.

À sa quatrième journée, on lui a aussi confié un troisième étage, l’unité réservée aux patients infectés par la COVID-19. Elle s’est donc retrouvée responsabl­e des trois étages, soit de plus de 100 patients.

LAISSÉE À ELLE-MÊME

« Je suis carrément laissée à moimême, poursuit-elle en entrevue. Je n’ai jamais travaillé avec les personnes âgées et j’ai eu une formation très brève en première année d’école sur le déplacemen­t des bénéficiai­res. Mais je n’ai reçu aucune autre formation avec les personnes âgées. Et la grande majorité des gens qui travaillen­t avec moi sont issus d’autres milieux et n’ont pas plus d’expérience que moi. »

Qui plus est, à son arrivée dans le CHSLD, la jeune femme de Blainville a noté un manque criant de matériel de protection. Après plusieurs démarches, l’infirmière a pu faire livrer une petite quantité de visières et de masques dans l’établissem­ent. C’est toutefois loin d’être suffisant pour se protéger convenable­ment, selon elle.

« Avec le peu de matériel qu’on se bat pour avoir, il n’y a aucune chance qu’on teste tous négatifs », explique celle qui est d’ailleurs en attente des résultats de son test de dépistage.

ICI POUR MOURIR

Mais ce qui est le plus difficile pour la jeune femme, c’est de constater l’absence d’humanité de certaines personnes.

« J’ai entendu des gens me dire de pas trop m’en faire, qu’ils étaient ici pour mourir de toute façon, lance-t-elle. Moi, je suis formée avec les nouveau-nés pour les sauver coûte que coûte. C’est un immense entre les deux mentalités, et c’est difficile à comprendre. »

Au final, Sandrine Valence-Lenoue comprend l’ampleur de la crise et est bien prête à apporter sa contributi­on. Elle espère toutefois que du personnel plus expériment­é viendra bientôt lui prêter main-forte.

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PHOTO CHANTAL POIRIER Sandrine Valence-Lanoue, une jeune infirmière clinicienn­e, attend de savoir si elle est atteinte de la COVID-19, elle qui a été hautement exposée.
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