Lettre au premier ministre du Québec
Ce texte s’adresse d’abord à l’homme dont la stupéfiante cote de popularité fait l’envie de tous vos homologues canadiens sinon de tous les dirigeants démocratiques du monde.
Votre modestie, votre authenticité, votre pragmatisme, votre émotion toujours perceptible derrière vos décisions politiques et votre manière d’exercer l’autorité vous ont valu en peu de mois l’admiration et l’affection de la majorité des Québécois.
HANTISE
Or, depuis environ deux semaines, vos compatriotes sont sidérés par les révélations apocalyptiques concernant les CHSLD publics et privés.
Je crois sincèrement que votre tendance naturelle à croire que « tout va bien aller », qui vous a bien servi jusqu’ici dans votre parcours personnel et politique, vous a mal préparé à gérer pareille crise.
Découvrir qu’un nombre effarant de personnes âgées meurent de la COVID-19 est pénible, mais cela était prévisible. D’ailleurs, c’est ainsi à travers le Canada et partout dans le monde.
Mais que des vieillards meurent de faim et de soif au Québec, souvent enfoncés dans la confusion, souillés par leurs propres excréments, le corps couvert de plaies ouvertes, dans la solitude et la détresse faute d’un personnel qualifié, lui-même terrifié et exténué, ces scènes, à l’évidence, vous hantent comme nous tous.
Vous tentez désormais de camoufler votre propre stupéfaction.
Vous avez peine à contenir votre perturbation personnelle en reprenant comme un mantra pendant le point de presse votre description positive de la situation en dehors du grand Montréal.
Or, vous êtes le premier à savoir qu’il y a deux Québec. Celui dont vous parlez est tricoté serré. Il a conservé quelquesunes des valeurs anciennes du temps des paroisses.
Les horreurs survenues derrière les murs des CHSLD de toutes les infamies existent peu ou pas dans les petites villes et à la campagne où tout le monde se connaît. Les habitants sont souvent apparentés au personnel des résidences.
Les familles se côtoient, s’entraident, se chicanent parfois, mais vont visiter leurs propres vieux et ceux de leurs voisins par la même occasion.
ATOUT
Cette promiscuité affective et amicale est un atout dans les situations de crise comme celle que nous traversons. Elle empêche la déshumanisation et la dépersonnalisation qui découlent forcément des rigidités bureaucratiques.
Monsieur le Premier Ministre, comment expliquez-vous que le système de santé au Québec est l’un des plus centralisés au monde, alors que nous ne sommes que huit millions d’habitants ?
N’êtes-vous pas vous-même à la merci de ces structures, qui réduisent votre marge de manoeuvre actuelle dans la gestion de la pandémie ?
Monsieur le Premier Ministre, expliquez-nous pourquoi « c’est un peu gênant » de faire appel à l’armée canadienne pour aider à remettre de la décence dans le soin aux malades puisqu’il manque 9500 employés dans le réseau de la santé. Des employés épuisés, contaminés eux-mêmes, déclassés socialement jusqu’à ces dernières semaines ou désormais paniqués à l’idée de contaminer leurs proches.
Nous vivons le plus grand scandale québécois de l’époque.
Monsieur le Premier Ministre, donnez-nous seulement l’espoir que vous allez remettre la dignité au coeur de la politique du Québec.