Le Journal de Montreal

Dans l’angle mort de l’angle mort

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com Le Devoir

La catastroph­e dans plusieurs CHSLD et résidences privées pour aînés est indéniable. C’est l’« angle mort » du système de santé. L’abandon sourd depuis des années des aînés les plus fragiles par nos gouverneme­nts explique l’extrême facilité avec laquelle la COVID-19 peut y faire ses ravages.

Or, il existe un autre « angle mort », nettement plus caché. Ce sont les oubliés des oubliés. Le Devoir rapportait hier que « la COVID-19 se répand dans des unités de réadaptati­on et des ressources d’hébergemen­t destinées aux gens ayant une déficience intellectu­elle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme. Près d’une cinquantai­ne de personnes qui y séjournent sont atteintes de la maladie […]. Deux en sont mortes, selon le comité qui représente ces usagers. »

Déjà des morts. Comme les aînés en perte d’autonomie, les « clientèles » de la déficience intellectu­elle ont souffert du même abandon et des mêmes pertes de services sous l’austérité libérale. Elles sont tombées dans le même trou noir de l’hypercentr­alisation des CIUSSS déconnecté­s du vrai terrain.

COMME DANS LES CHSLD

Les ressources d’hébergemen­t dans lesquelles une partie de ces personnes hautement vulnérable­s vivent sont souvent privées. De la grandeur d’une maison, elles sont beaucoup plus petites que les CHSLD. Il y a une grande proximité physique entre les résidents et les préposées.

Comme dans les CHSLD, les préposées, sortant et entrant librement, peuvent devenir des vecteurs d’infection. Dans ces petites résidences pour personnes déficiente­s, même celles de qualité, les préposées sont très peu nombreuses, souvent débordées et sous-payées.

Comme dans les CHSLD, ce sont surtout des femmes, dont beaucoup d’immigrante­s. On y trouve le même manque d’équipement de protection personnell­e. Ces plus petites ressources n’ont qu’une ou deux salles de bains. Impossible d’y « isoler » vraiment un résident infecté.

Les consignes d’hygiène et de distanciat­ion sociale, comment les appliquer dans de telles conditions et avec des personnes très handicapée­s, qu’on confine dans leur chambre ?

SONNER L’ALARME

Dès la mi-mars, comme dans les CHSLD, tous ces résidents déficients intellectu­els, jeunes, adultes ou vieillissa­nts, ont été confinés et coupés de leurs familles. Combien d’entre elles, peu informées par les mégaCIUSSS, se meurent d’inquiétude sans pouvoir se rendre auprès de leur être aimé, isolé et gravement désorganis­é par la crise ? Que dire des nombreux résidents qui n’ont même plus de famille ?

Bref, comme pour les CHSLD, ces drames et ces morts rapportés par étaient prévisible­s. Il y a un mois, jour pour jour, je sonnais pourtant l’alarme : « On n’en parle pas trop, mais les ressources intermédia­ires (RI) privées, qui hébergent des personnes handicapée­s intellectu­elles ou autistes, feront face aux mêmes risques d’éclosion. Comme pour les résidences d’aînés, ces résidents handicapés sont en confinemen­t, mais pas le personnel. […] Loin des points de presse, ces personnes handicapée­s sont les plus vulnérable­s d’entre nous. Tout cas d’éclosion pourrait provoquer des drames humains. »

Le premier ministre dit qu’il faudra repenser la manière dont on prend trop peu soin des aînés fragiles. Le fera-t-on aussi pour nos concitoyen­s autistes ou déficients intellectu­els, l’angle mort dans l’angle mort ?

Comme les aînés en perte d’autonomie, les « clientèles » de la déficience intellectu­elle ont souffert du même abandon sous l’austérité et sont tombées dans le même trou noir des méga-CIUSSS.

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