Le Journal de Montreal

Le confinemen­t sème la discorde

- RICHARD MARTINEAU

Dans les années 1980-1990, si tu voulais que la chicane pogne dans les réunions de famille, tu parlais de la souveraine­té.

Résultat assuré.

Dans les années 2000, c’était la droite et la gauche.

Rien de mieux pour casser le party. Et ces temps-ci, dans les discussion­s virtuelles, c’est le confinemen­t.

Tu jettes le mot « confinemen­t » sur Twitter et Facebook, et le feu prend.

Immanquabl­ement.

ON RENTRE OU ON SORT ?

C’est la nouvelle ligne de fracture. Le mot magique qui sépare la mer Rouge en deux.

D’un côté, ceux qui en ont ras le cul et qui veulent sortir (la collectivi­té n’a pas d’affaire à brimer mes droits et libertés, ce n’est pas vrai qu’on va rester enfermés jusqu’à ce qu’on trouve un vaccin).

De l’autre, ceux qui ont une peur bleue de la deuxième vague (et qui craignent que les droits et libertés des uns et des autres ne mettent en danger la collectivi­té).

Les premiers vont dire : « À quoi ça sert d’être en santé si l’économie du pays est à terre ? »

Et les seconds : « Vaut mieux être chômeur que mort ! »

Entre ces deux groupes, aucune discussion ne semble possible. C’est l’affronteme­nt permanent. Si au moins il existait un consensus dans la communauté scientifiq­ue sur les bienfaits du confinemen­t, on pourrait trouver un terrain d’entente.

Mais non.

Comme je l’ai écrit hier, on ne sait même pas si l’immunité collective est possible.

Alors, d’ici à ce que la science tranche, c’est la guerre de tranchées entre les deux clans.

Le genre de chicane qui peut briser des amitiés. Comme à l’époque des « séparatiss­es ».

LE MOT TABOU

Vous l’avez sûrement vécu lors de vos « apéros virtuels ».

Au début, tu fais des blagues, tu parles de la vie quotidienn­e au temps du coronaviru­s – la bouffe (on n’arrête pas de cuisiner !), l’alcool (on n’arrête pas de boire !), les enfants (ils n’arrêtent pas de jouer aux jeux vidéo !).

Puis peu à peu, tu te rapproches du mot tabou.

Jusqu’à ce que quelqu’un, au troisième verre, laisse tomber le masque et les gants, et aborde, de façon frontale, la question brûlante.

« Maudit, on ne peut même pas inviter nos enfants dans notre cour, ça va trop loin !

— J’espère bien que tu ne peux pas les inviter ! Ils peuvent te contaminer !

— Ils n’ont aucun symptôme !

— Ça ne veut pas dire qu’ils ne l’ont pas !

— Ils sont jeunes ! —Pisça?Ilyadesgen­s qui sont morts à 22 ans !

— Oui, mais ils étaient déjà malades ! »

Etc., etc.

Et ça se termine toujours de la même façon : « On n’est toujours pas pour rester chez nous encore deux ans et payer des gens à ne rien faire, le système économique va péter !

— Qu’est-ce que tu proposes d’autre ? Tu préfères que ce soit le système de santé qui pète ? »

CAÏN ET ABEL

On ne s’en sort pas. L’économie et la santé sont les frères ennemis du nouveau siècle.

Pour pouvoir se payer de bons équipement­s médicaux, ça prend une économie forte. Et pour avoir une économie forte, faut être en santé.

C’est l’éternel débat entre l’oeuf et la poule.

Vous voulez partir la chicane ? Parlez du confinemen­t !

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