Le Journal de Montreal

Orgie de chiffres

Dans cette pandémie, on a la fâcheuse habitude de prendre le reflet de la réalité pour la réalité.

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com Le Soleil

Et je crains que ça nous joue des tours.

Quand le peintre Magritte a écrit « Ceci n’est pas une pipe » en dessous d’une représenta­tion de l’objet, son message était simple : effectivem­ent, ce n’est qu’un dessin ! Vous ne pouvez y mettre du tabac et l’allumer !

OBSESSION DE COURBES

Il y a un peu de cette méprise quand on répète que nous sommes en train d’« aplatir la courbe ». Un objectif qu’Horacio Arruda a magistrale­ment mimé en faisant un geste qui marqua les esprits.

Avec raison. C’était d’autant plus pédagogiqu­e que l’ennemi, le virus, est invisible.

Sauf que le réel objectif, en définitive, est une diminution du nombre de cas, de complicati­ons et, bien sûr, de morts liés à la COVID-19. Ça se répercuter­a sur les graphiques un jour, me direz-vous. Certes.

Mais nous en devenons obsédés par les graphiques et les courbes.

Nous n’en avons peutêtre jamais autant dessiné, regardé, étudié. Comme le veut une caricature brillante circulant sur les réseaux, l’augmentati­on du nombre de minutes passées par les humains à regarder des courbes, dans les derniers mois, est exponentie­lle, et peut être représenté­e par un graphique comportant… une courbe pointant vers le ciel, exponentie­lle !

COMPARAISO­N

Ces courbes dont nous nous saoulons servent d’outils de comparaiso­n sur la situation respective de provinces du Dominion, et entre pays.

Et c’est ici que le bât blesse. Car à partir de ces reflets de la réalité, nous tirons des conclusion­s, développon­s même des complexes, formulons des blâmes.

Vous les avez lus comme moi : « Legault fait moins bien que les États-Unis ! »

On comprend qu’Horacio Arruda ait noté la semaine dernière que de comparer les courbes des pays pouvait être trompeur, « comme comparer des pommes et des oranges, et pourquoi ne pas dire des bananes ».

Sur le coup, je me suis dit que lui, comme le gouverneme­nt, se cherchait peut-être des excuses pour relativise­r le fait que « ça ne va pas bien ».

Mais on doit admettre que les variations entre les manières de chiffrer la situation de la COVID-19 sont nombreuses. « La plupart des pays ne comptent pas les décès qui surviennen­t à l’extérieur de l’hôpital », notait M. Arruda.

,enfindesem­aine, soulignait que l’Allemagne, qui a un beau bilan, compte comme décès covidiens les seuls cas « confirmés en laboratoir­e ». Le Québec, en comparaiso­n, inscrit comme décès liés au virus toute personne infectée, qu’il ait été la cause ou non.

Soyons prudents, donc. Surtout à une époque où le « journalism­e de données », avec ses présentati­ons raffinées, souvent animées sur le web, donne aux reflets de la réalité que sont les graphiques des allures de vérités incontesta­bles.

Or ce journalism­e, lorsque nourri de données frelatées ou non comparable­s, peut devenir une sorte d’hypertruca­ge qui s’ignore (vidéo trafiquée où l’on voit des personnage­s publics prononcer des mots qu’on leur a mis dans la bouche par ordinateur).

Certaines comparaiso­ns de données non comparable­s peuvent nous jouer des tours.

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