Orgie de chiffres
Dans cette pandémie, on a la fâcheuse habitude de prendre le reflet de la réalité pour la réalité.
Et je crains que ça nous joue des tours.
Quand le peintre Magritte a écrit « Ceci n’est pas une pipe » en dessous d’une représentation de l’objet, son message était simple : effectivement, ce n’est qu’un dessin ! Vous ne pouvez y mettre du tabac et l’allumer !
OBSESSION DE COURBES
Il y a un peu de cette méprise quand on répète que nous sommes en train d’« aplatir la courbe ». Un objectif qu’Horacio Arruda a magistralement mimé en faisant un geste qui marqua les esprits.
Avec raison. C’était d’autant plus pédagogique que l’ennemi, le virus, est invisible.
Sauf que le réel objectif, en définitive, est une diminution du nombre de cas, de complications et, bien sûr, de morts liés à la COVID-19. Ça se répercutera sur les graphiques un jour, me direz-vous. Certes.
Mais nous en devenons obsédés par les graphiques et les courbes.
Nous n’en avons peutêtre jamais autant dessiné, regardé, étudié. Comme le veut une caricature brillante circulant sur les réseaux, l’augmentation du nombre de minutes passées par les humains à regarder des courbes, dans les derniers mois, est exponentielle, et peut être représentée par un graphique comportant… une courbe pointant vers le ciel, exponentielle !
COMPARAISON
Ces courbes dont nous nous saoulons servent d’outils de comparaison sur la situation respective de provinces du Dominion, et entre pays.
Et c’est ici que le bât blesse. Car à partir de ces reflets de la réalité, nous tirons des conclusions, développons même des complexes, formulons des blâmes.
Vous les avez lus comme moi : « Legault fait moins bien que les États-Unis ! »
On comprend qu’Horacio Arruda ait noté la semaine dernière que de comparer les courbes des pays pouvait être trompeur, « comme comparer des pommes et des oranges, et pourquoi ne pas dire des bananes ».
Sur le coup, je me suis dit que lui, comme le gouvernement, se cherchait peut-être des excuses pour relativiser le fait que « ça ne va pas bien ».
Mais on doit admettre que les variations entre les manières de chiffrer la situation de la COVID-19 sont nombreuses. « La plupart des pays ne comptent pas les décès qui surviennent à l’extérieur de l’hôpital », notait M. Arruda.
,enfindesemaine, soulignait que l’Allemagne, qui a un beau bilan, compte comme décès covidiens les seuls cas « confirmés en laboratoire ». Le Québec, en comparaison, inscrit comme décès liés au virus toute personne infectée, qu’il ait été la cause ou non.
Soyons prudents, donc. Surtout à une époque où le « journalisme de données », avec ses présentations raffinées, souvent animées sur le web, donne aux reflets de la réalité que sont les graphiques des allures de vérités incontestables.
Or ce journalisme, lorsque nourri de données frelatées ou non comparables, peut devenir une sorte d’hypertrucage qui s’ignore (vidéo trafiquée où l’on voit des personnages publics prononcer des mots qu’on leur a mis dans la bouche par ordinateur).
Certaines comparaisons de données non comparables peuvent nous jouer des tours.