Le Journal de Montreal

Une béquille n’est pas une jambe

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

Les dernières semaines ont amené bien des Québécois à faire l’expérience du télétravai­l, de ses joies et de ses misères.

Ses joies : il y a un vrai bonheur à rester chez soi, à ne pas s’imposer l’épreuve aliénante de la congestion routière, d’une vie tellement écartelée entre la maison et le bureau qu’on s’épuise à toujours se déplacer. À la fin de la journée, l’énergie manque.

Il y a quelque chose de terribleme­nt dysfonctio­nnel dans notre manière d’habiter le territoire. Il faudra, au terme de cette expérience, retenir quelque chose du télétravai­l, l’intégrer, dans la mesure du possible, dans nos vies.

TÉLÉTRAVAI­L

Ses misères : tous les travailleu­rs autonomes le diront, le problème du travail à domicile, c’est qu’on ne quitte jamais vraiment mentalemen­t le bureau. Le vrai temps libre est rare. La disponibil­ité mentale pour le boulot est permanente. À chaque moment, il peut imposer ses exigences.

Pour la vie intellectu­elle, cela peut avoir son charme. Mais globalemen­t, cela peut vite devenir aliénant.

Cela dit, s’il est un domaine où le télétravai­l n’a pas grand sens, c’est bien celui de l’éducation. Assurément, les enseignant­s se démènent en ce moment pour réussir à transmettr­e leur matière, ou du moins, à consolider celle acquise au cours de l’année.

Malgré le confinemen­t, ils font ce qu’ils peuvent pour aider leurs élèves.

Mais pour bien enseigner, il faut avoir ses étudiants devant soi.

Le bon professeur évalue vite le profil de ses étudiants. Il voit que tel élève est très doué et que tel autre l’est moins.

Il voit aussi que si on aborde ce dernier de la bonne manière, en parvenant à rejoindre son imaginaire, on peut lui faire découvrir un monde auquel il ne se croyait pas destiné : celui des idées.

Il devra, pour cela, rencontrer un professeur un peu singulier, emporté par son sujet, qui permet de voir le monde différemme­nt à partir de sa matière. Ce professeur a un pouvoir particulie­r : celui de changer la vie des jeunes qui passent dans sa classe. Des décennies après avoir quitté sa classe, on s’en souviendra encore.

C’est même vrai à l’université. On y verra même de vraies relations d’amitié se nouer entre un professeur et certains de ses étudiants, surtout lorsqu’une passion commune les anime.

Mais pour cela, il faut avoir du temps pour se parler, à la pause, après le cours, après la session, et ainsi de suite.

ÉCRANS

Cela nous rappelle l’importance des contacts humains. Depuis quelques années, la soumission de l’humanité aux écrans laissait croire qu’ils étaient optionnels ou moins nécessaire­s qu’avant.

On constate actuelleme­nt à quel point ils sont vitaux. Zoom, Skype, Messenger et compagnie ne remplacero­nt jamais la vraie vie.

De même, à l’école, le meilleur logiciel ne remplacera jamais le contact avec ses élèves. Dans le cadre scolaire, le télétravai­l est une béquille.

Une béquille actuelleme­nt utile, certes. Mais une béquille n’est pas une jambe.

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La présence en classe de l’enseignant est irremplaça­ble.
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Sociologue, auteur et chroniqueu­r

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