Le Journal de Montreal

La pandémie isole les mourants

Les aumôniers accompagne­nt les patients qui ne peuvent pas voir leur famille en raison du confinemen­t

- MAUDE OUELLET

Les aumôniers modernes vivent de près l’isolement et la solitude des patients en fin de vie dans les hôpitaux, eux-mêmes confrontés aux mesures strictes imposées par la pandémie.

« Ce qui me marque, c’est le poids du confinemen­t », dit Jean-Marc Barreau, intervenan­t en soins spirituels à l’unité des soins palliatifs de l’Hôpital Marie-Clarac, un centre de réadaptati­on et de convalesce­nce à Montréal.

Il a passé les dernières semaines au chevet de patients contraints de mourir presque seuls en raison de l’interdicti­on de visite due à la COVID-19.

Les intervenan­ts en soins spirituels, que l’on appelait auparavant « aumôniers », ont pour mission d’accompagne­r les patients et leur famille dans la maladie.

Ils sont particuliè­rement sollicités dans le contexte actuel.

« Les patients n’ont pas de visite. La seule visite qu’ils ont, c’est à 24 heures de leur décès. Il n’y a qu’une seule personne qui peut venir, et parfois elle ne vient pas, parce qu’elle a peur du virus », poursuit M. Barreau.

COMME DES PESTIFÉRÉS

Tout comme le personnel médical, les intervenan­ts spirituels doivent revêtir plus d’équipement de protection que d’habitude.

« Il faut mettre une jaquette, il faut mettre des gants, il faut mettre un masque. C’est comme si on visitait des pestiférés. Ça les isole encore plus », estime celui qui accompagne les malades depuis 2008.

Ces précaution­s supplément­aires empêchent également toute forme de proximité avec le malade.

« Les patients en fin de vie ont besoin d’être entourés. On ne peut plus mettre notre main sur leur épaule ou leur prendre la main. Les prêtres ne peuvent plus vraiment faire l’extrême-onction », affirme le religieux.

Bien qu’il les trouve contraigna­ntes, M. Barreau juge toutefois ces mesures indispensa­bles pour protéger le personnel et les patients.

VIDÉOCONFÉ­RENCE

D’autres intervenan­ts spirituels ont plutôt choisi d’offrir leurs soins par vidéoconfé­rence ou par téléphone. C’est le cas de Bruno Synnott, qui travaille au Centre hospitalie­r de St. Mary, à Montréal.

« On s’adapte à la situation. Notre principe de base, c’est la sécurité, mais il faut aussi être créatif. Les patients sont contents d’avoir une présence, même si elle n’est pas physique », glisse-t-il.

Grâce à la technologi­e, le pasteur raconte avoir vécu les derniers instants d’une malade en vidéoconfé­rence avec les enfants de cette dernière.

« C’était très touchant. La patiente a pu parler à ses fils et leur dire qu’elle les aimait. On a pu faire une prière tout le monde ensemble », formule celui qui cumule plus de 10 ans d’expérience comme intervenan­t spirituel.

PAS QUE LA MORT QUI FAIT PEUR

Jean-Marc Barreau observe que la pandémie décuple la peur dans les hôpitaux.

« La mort, quand elle vient naturellem­ent, est moins anxiogène que lorsqu’elle subit la menace d’un virus comme celui-ci, que l’on ne connaît pas encore. »

Il n’y a pas que les patients qui se sentent anxieux, le personnel aussi.

« Il y a des médecins et des infirmière­s qui viennent me voir pour que l’on parle de la mort. Ce n’était pas le cas il y a quelques semaines », constate-t-il.

M. Synnott remarque aussi cette crainte persistant­e.

« On me demande si c’est la fin des temps, si nous sommes entrés dans le temps de l’apocalypse, pourquoi ça arrive maintenant, c’est quoi le sens de ça. Ces questionne­ments génèrent de l’anxiété pour plusieurs personnes. »

« HUMANISME INCROYABLE »

M. Barreau, aussi professeur à l’Institut d’études religieuse­s de l’Université de Montréal, est tout de même optimiste.

« Dans une crise comme celle d’aujourd’hui, il peut vraiment sortir un humanisme incroyable si nous écoutons notre voix intérieure. On peut en sortir plus humain, plus attentif à l’autre, et ça, c’est émouvant. »

 ?? PHOTOS COURTOISIE ET TIRÉE DU SITE WEB DE L’ÉGLISE CHRÉTIENNE SAINT-LAURENT ?? Comme les autres intervenan­ts du milieu de la santé, ceux qui offrent de l’accompagne­ment spirituel, comme Jean-Marc Barreau (ci-dessus), à l’Hôpital Marie-Clarac de Montréal, doivent revêtir de l’équipement de protection. Ci-contre, le pasteur Bruno Synnott effectue des accompagne­ments de patients par vidéoconfé­rence ou par téléphone.
PHOTOS COURTOISIE ET TIRÉE DU SITE WEB DE L’ÉGLISE CHRÉTIENNE SAINT-LAURENT Comme les autres intervenan­ts du milieu de la santé, ceux qui offrent de l’accompagne­ment spirituel, comme Jean-Marc Barreau (ci-dessus), à l’Hôpital Marie-Clarac de Montréal, doivent revêtir de l’équipement de protection. Ci-contre, le pasteur Bruno Synnott effectue des accompagne­ments de patients par vidéoconfé­rence ou par téléphone.

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