La revanche du citron pressé
Le temps est venu de passer à la caisse, les voraces.
Ça fait des années qu’on en parle et qu’on le dit. L’évasion et l’évitement fiscal privent les gouvernements de milliards de dollars en revenus nécessaires pour financer les services et la construction d’infrastructures. Si le contribuable se sent pressé comme un citron, c’est beaucoup pour que les GAFAM de ce monde ne payent pas.
L’évasion fiscale est illégale. L’évitement fiscal est légitimé par différentes échappatoires qui permettent d’utiliser comme résidence de complaisance des États qui ne prélèvent pour ainsi dire pas d’impôts.
C’est donc dire que plusieurs entreprises sont contentes de trouver au Canada un environnement d’affaires politiquement stable, hautement sécuritaire, doté d’une main-d’oeuvre éduquée et qualifiée, pour laquelle ils n’ont pas d’assurance maladie à payer en plus. Quand vient le temps de payer pour tout ça, toutefois, elles sont aux abonnés absents. Elles ne sont là que pour les profits.
CAPITALISME
Pas juste ça, en fait. Quand ça ira mal, elles se tourneront vers le même État qu’elles refusent de financer pour demander de l’aide. Et Justin Trudeau, un des premiers ministres les plus complaisants de l’histoire à leur endroit, s’apprête à leur en donner.
Privatiser les profits pour socialiser les pertes : le capitalisme n’est jamais aussi cohérent qu’en temps de pandémie !
Paradis fiscal de facto avec son secteur bancaire qui fait des affaires d’or dans les Caraïbes, le Canada est en retard sur de nombreux pays quand il s’agit de lutter contre l’évitement fiscal. Déjà, dans cette crise, des pays comme la Pologne et le Danemark ont fait preuve de leadership en annonçant que les aides d’État pour le secteur privé ne seraient pas offertes aux entreprises dont le siège social se trouve dans un paradis fiscal. La France les a imités, mais n’a pas inclus dans la liste des pays visés plusieurs États européens, comme Malte et les Pays-Bas, qui sont réputés complaisants envers la fiscalité créative.
Aux États-Unis, où on a appris de la crise financière de 2008, on a serré la vis un peu aussi. Les entreprises qui verseront des dividendes à leurs actionnaires ou dont les dirigeants accepteront des hausses de salaire n’auront pas droit à l’argent des contribuables.
Au Canada, Justin Trudeau a brièvement donné l’impression de s’être fait pousser une colonne vertébrale, mais ce n’est pas arrivé, finalement. Lors d’une séance virtuelle de la Chambre des communes lundi, il avait affirmé que ceux qui auraient besoin d’aide en recevraient, mais pas ceux qui font de l’évitement ou de l’évasion fiscale. En période de questions le lendemain, le premier ministre refusait toutefois de répéter ses propos, se contentant de dire que les budgets de l’Agence de revenu du Canada pour lutter contre l’évasion fiscale seraient bonifiés.
La colonne vertébrale de Justin avait été remise au garage et le Canada était de retour à sa position d’État complaisant.
À Québec, François Legault a été plus ferme. Il a dit clairement que, dans son esprit, une entreprise qui ne payait pas ses impôts ici ne devrait pas recevoir d’aide.
COPAINS COMME COCHONS
Les entreprises qui font de l’évasion fiscale, c’est un peu comme un cochon qui viendrait manger dans la même auge que le vôtre et dont le bacon serait plus tard dégusté par ses actionnaires. C’est avec nos ressources qu’elles s’engraissent, mais elles ne nous mettent rien sur la table.
C’était déjà un problème avant la pandémie, doublé par une nouvelle réalité grandissante, soit la progression du commerce en ligne. Les Netflix, Facebook, Google et autres Amazon ne payent et ne prélèvent pas de taxes au Canada, contrairement à leurs concurrents locaux.
Jusqu’ici, les libéraux fédéraux, bien par les lobbyistes de ces compagnies avec qui ils sont copains comme cochons, c’est le cas de le dire, se répugnaient à intervenir, mais ça a changé pendant la dernière campagne électorale. Lorsque même le Parti conservateur te fait des leçons de responsabilité fiscale, ça paraît mal.
Sauf que rien n’a encore bougé et maintenant, ça urge. La crise fait faire des affaires d’or à ces géants du commerce en ligne, à qui on accordera le mérite de s’être bien positionnés dans leurs choix d’affaires, ce qui n’empêche pas qu’ils profitent aussi de la complaisance du gouvernement fédéral. Ce dernier en est présentement à se creuser un déficit historique pour lequel vous et moi payerons des intérêts jusqu’au moment de notre mort.
La colonne vertébrale de Justin a été remise au garage. Legault a été plus ferme.
C’EST LE TEMPS DE BOUGER
C’est le temps de bouger, là. Dans cette crise, la question de la gestion des frontières a montré que le gouvernement fédéral, qui est chanceux de contrôler une armée pour faire bonne figure, n’a à peu près aucune capacité opérationnelle, si ce n’est celle de prélever des impôts, d’emprunter de l’argent et d’émettre des chèques. (Et encore, dans le dernier cas, ça coince.) Qu’il fasse donc son travail, en rançonnant ceux qui ont les moyens de payer, qui devraient déjà le faire, mais qui s’esquivent, plutôt que le contribuable, déjà fortement mis à contribution.
Le citron-contribuable s’en vient pas mal à sec, présentement, entre les mises à pied et la PCU. À défaut de lui accorder une revanche, ce serait bien de lui donner un peu de repos.