Le Journal de Montreal

Le cancer au sommet

- RICHARD BÉLIVEAU Docteur en biochimie, Collaborat­ion spéciale

La rapidité avec laquelle la pandémie de COVID-19 s’est développée confirme notre vulnérabil­ité face à l’apparition de nouveaux agents infectieux.

Cependant, malgré toute la force et le potentiel destructeu­r de ce virus, il est important de rappeler que c’est le cancer qui demeure, et de loin, la principale cause de mortalité dans notre société, avec 400 morts par semaine, comparativ­ement à une moyenne de 293,5 pour le virus, depuis le début de la pandémie.

Le cancer est une sorte d’épidémie silencieus­e dont on parle peu, mais qui existait bien avant l’arrivée du virus et qui continuera d’exister longtemps après sa disparitio­n.

La coexistenc­e de ces deux épidémies devrait être une occasion de repenser notre attitude face au cancer.

Si la mortalité causée par le coronaviru­s et les bouleverse­ments socioécono­miques qui sont associés à la pandémie méritent une attention particuliè­re, ne devrait-il pas en être de même pour le cancer étant donné le fardeau encore plus lourd imposé par cette maladie à notre société ?

DES POINTS EN COMMUN

Surtout que ces deux tueurs, étonnammen­t, ont beaucoup de points en commun. Historique­ment, les premiers gènes causant le cancer (oncogènes src, ras et autres) ont été identifiés chez les virus et nos chromosome­s contiennen­t des versions humaines de ces oncogènes.

Certains cancers humains sont d’ailleurs principale­ment causés par des infections virales. Entre autres, le cancer du col de l’utérus avec une stratégie de vaccinatio­n contre le virus du papillome humain (VPH) pour en réduire l’incidence, ou le cancer du foie avec le virus de l’hépatite B ou encore le sarcome de Kaposi avec le VIH.

ORIGINE VIRALE

Globalemen­t, on estime qu’environ 12 % des cancers humains ont une origine virale.

Une autre similitude entre les gènes viraux et les oncogènes humains est qu’ils peuvent dans les deux cas être qualifiés d’égoïstes et d’opportunis­tes.

Pour un virus ou une cellule cancéreuse, le seul objectif est de reproduire indéfinime­nt ses gènes en prenant en otage l’environnem­ent dans lequel ils se trouvent.

Dans une infection virale ou une mutation cancéreuse, il s’agit littéralem­ent d’un putsch moléculair­e, d’une prise de contrôle des mécanismes de reproducti­on de la cellule touchée.

Le corps essaie bien sûr d’empêcher cette prise de contrôle, en utilisant sa force de frappe immunitair­e, mais lorsqu’ils parviennen­t à échapper à l’immunité, les virus et cellules cancéreuse­s utilisent la réponse inflammato­ire générée par les cellules immunitair­es, pour accélérer leur progressio­n à l’intérieur du corps.

En somme, un virus et une cellule cancéreuse peuvent être tous les deux considérés comme des ennemis intérieurs, des parasites obligatoir­es qui ont besoin d’utiliser les ressources de l’organisme pour se reproduire de façon exponentie­lle.

VAUT MIEUX PRÉVENIR

Enfin, la similitude la plus importante entre les infections virales et le cancer est que dans les deux cas, il vaut vraiment mieux prévenir que guérir.

On voit présenteme­nt à quel point il est difficile de traiter les personnes qui sont atteintes par des formes sévères de la COVID-19, et c’est souvent similaire pour le cancer.

Les traitement­s anticancér­eux actuels sont beaucoup plus efficaces lorsqu’ils sont dirigés vers des tumeurs à des stades précoces, alors que la plupart des cancers qui ont atteint un stade avancé sont formés de cellules dégénérées génétiquem­ent et qui sont en conséquenc­e très difficiles à éliminer.

On sait depuis plusieurs années qu’on peut prévenir la majorité des cancers en adoptant un mode de vie sain, incluant l’absence de tabagisme, la protection contre les rayons ultra-violets, une saine alimentati­on, une activité physique régulière et le maintien d’un poids corporel normal (IMC entre 18 et 25).

Pour le coronaviru­s, le mode de vie joue également un rôle très important dans la sévérité des complicati­ons provoquées par le virus.

Pas moins de 95 % des personnes hospitalis­ées pour la COVID-19 présentent au moins une maladie chronique préexistan­te, ce qu’on appelle la comorbidit­é.

Les plus communes sont l’obésité, le diabète de type 2 et l’hypertensi­on, des pathologie­s qui sont toutes des conséquenc­es directes de mauvaises habitudes de vie.

La tempête de cytokines associée à la dégradatio­n foudroyant­e de la condition de certains patients infectés est probableme­nt une amplificat­ion d’un déséquilib­re inflammato­ire déjà présent, causé par cette comorbidit­é latente.

L’obésité est d’ailleurs identifiée comme un facteur majeur de complicati­ons cliniques pour la COVID-19.

Sans empêcher l’infection comme telle, l’adoption de saines habitudes de vie peut donc contribuer à prévenir les complicati­ons de l’infection et à réduire son taux de mortalité.

Qu’il s’agisse d’infections virales ou de maladies chroniques, la prévention représente donc une facette incontourn­able de la lutte contre ces maladies.

Malheureus­ement, prévenir ne fait vraiment pas partie de notre culture occidental­e, beaucoup plus axée sur les bénéfices à court terme plutôt qu’à long terme, et où l’essentiel des efforts des systèmes de santé est consacré au traitement des maladies plutôt qu’à empêcher leur développem­ent.

Nous réagissons bien aux problèmes aigus que sont, par exemple, les traumatism­es ou les infections, mais beaucoup moins bien aux problèmes de maladies chroniques, parce qu’ils marquent moins notre quotidien.

En l’absence d’urgence évidente, comme dans une pandémie infectieus­e, nous procrastin­ons notre prise en charge, parce que le danger est moins direct.

PRISE DE CONSCIENCE

Il est à souhaiter que le branle-bas de combat actuelleme­nt en cours pour contrer la COVID-19 nous sensibilis­e à l’importance des approches préventive­s, non seulement pour les maladies infectieus­es, mais aussi pour le cancer et les maladies chroniques en général.

Rappelons-nous, le cancer tue en moyenne 57 personnes chaque jour, au Québec seulement.

C’est l’occasion d’une prise de conscience individuel­le et sociétale, sur notre vulnérabil­ité face à la mort, mais également, sur notre incroyable potentiel d’action préventive, en adoptant des attitudes comporteme­ntales aptes à réduire le risque de succomber à ces maladies.

Les comporteme­nts de prévention du cancer sont moins exigeants que ceux pour la protection contre la COVID-19.

Nous faisons beaucoup de sacrifices pour contrer ce coronaviru­s, aurons-nous cette même discipline et ce même courage face à la première cause de mortalité qu’est le cancer ?

C’est en quelque sorte une épidémie silencieus­e

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