Le Journal de Montreal

Une prof est traumatisé­e par son passage en CHSLD

L’infirmière raconte s’être déshydraté­e afin de ne pas changer de masque

- ANNE-SOPHIE POIRÉ

Après huit jours dans un CHSLD de Laval infecté à la COVID-19, une enseignant­e aux futurs préposés aux bénéficiai­res et infirmière depuis 20 ans croit que son expérience lui laissera des séquelles psychologi­ques.

Le 20 avril, lorsqu’elle est volontaire­ment déployée dans un centre d’hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD) classé « rouge », Nadia Lambert est « comme une lionne en cage » prête à tout pour aider. Deux jours plus tard, elle a confié au

Journal être « très positive ».

Mais le manque de ressources et la surcharge de travail la poussent à demander de l’aide aux gestionnai­res du CHSLD et au Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval, après trois jours sur le terrain. Son témoignage est demeuré sans réponse, assure-t-elle.

L’infirmière admet s’être empêchée de manger et de boire pendant près de huit heures pour éviter de changer de masque, en raison des stocks limités, dit-elle.

« J’étais complèteme­nt déshydraté­e », laisse tomber Mme Lambert.

« On est confrontée­s à des dilemmes éthiques sans arrêt, raconte celle qui enseigne depuis neuf ans. On nous demande de faire des trachéotom­ies sans masque N95. C’est contre les règles. Les filles le font pareil sinon les patients vont s’étouffer et mourir dans leurs sécrétions. »

SANS PROTECTION

« On nous envoie soigner les patients sans protection. Le personnel a peur », poursuit Mme Lambert, qui n’hésite pas à comparer la pression ressentie à de la violence psychologi­que.

Le CISSS de Laval a indiqué à TVA Nouvelles avoir reçu par courriel le témoignage de Mme Lambert par courriel, mais déplore n’avoir pu faire de suivi parce qu’elle « n’a pas laissé ses coordonnée­s téléphoniq­ues. »

Kathleen Bertrand, présidente de la FIQ-Syndicat des profession­nelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal, l’une des zones les plus infectées au Québec, comprend bien l’histoire de Mme Lambert.

Elle dénonce également la « violence organisati­onnelle » et pointe le caractère « insidieux » du système.

« Quatre-vingt-dix pour cent des membres de la FIQ sont des femmes. Une de leur fragilité est la propension à se sentir coupable pour tout. Les employeurs utilisent cette culpabilit­é », observe Mme Bertrand.

ABANDONNER LE NAVIRE

« J’ai l’impression d’abandonner le navire, mais ce sont eux qui m’ont jetée par-dessus bord », lance Mme Lambert, qui croit être en état de stress post-traumatiqu­e.

Pour le neuropsych­ologue et professeur à l’UQAM, François Richer, le sentiment d’impuissanc­e et le don de soi que vivent les soignantes sont des facteurs de risque pour le développem­ent d’un stress post-traumatiqu­e.

La santé mentale des profession­nelles en soins se dégrade aussi vite que la pandémie se propage, selon Mme Lambert, qui après huit jours, a quitté son poste au CHSLD.

Elle s’est placée en quarantain­e dans un hôtel de Laval, afin de ne pas transmettr­e un virus à ses trois adolescent­s.

« ON EST CONFRONTÉE­S À DES DILEMMES ÉTHIQUES SANS ARRÊT. ON NOUS DEMANDE DE FAIRE DES TRACHÉOTOM­IES SANS MASQUE N95. [...] LES FILLES LE FONT PAREIL SINON LES PATIENTS VONT S’ÉTOUFFER ET MOURIR DANS LEURS SÉCRÉTIONS ».

– Nadia Lambert, infirmière et enseignant­e

 ?? PHOTO AGENCE QMI, JOËL LEMAY ?? Nadia Lambert, infirmière et enseignant­e aux futurs préposés aux bénéficiai­res, a été déployée volontaire­ment dans un CHSLD. Elle est maintenant en quarantain­e dans un hôtel de Laval, car elle ne veut pas prendre le risque d’infecter ses trois adolescent­s.
PHOTO AGENCE QMI, JOËL LEMAY Nadia Lambert, infirmière et enseignant­e aux futurs préposés aux bénéficiai­res, a été déployée volontaire­ment dans un CHSLD. Elle est maintenant en quarantain­e dans un hôtel de Laval, car elle ne veut pas prendre le risque d’infecter ses trois adolescent­s.

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