Le Journal de Montreal

Je vais être envoyée au front

Une employée du réseau de la santé se prépare à être déployée en CHSLD pour prêter main-forte

- DELPHINE BERGERON Collaborat­ion spéciale Babylon, À la recherche de New

C’est le début de la crise COVID-19. Sur le plan personnel, mon adrénaline est dans le tapis. J’ai fait des provisions et organisé mes biens en mode survivalis­te. Je me sens très à l’aise en situation d’urgence.

Sur le plan profession­nel, ma vie va bientôt changer. Intervenan­te en santé mentale, je suis employée dans un établissem­ent de la région de Montréal, dont nous tairons le nom pour des raisons de confidenti­alité.

En plein coeur du système de la santé, je devrais me situer aux premières lignes de gestion de la pandémie. Mais tous les départemen­ts du milieu n’ont pas été touchés de la même manière. Nous sommes le 18 mars. Après quelques jours durant lesquels on n’a reçu que deux clients, c’est enfin la fermeture de mon service. J’avais hâte que ce soit fait, puisque nous ne sommes pas un service essentiel. Vu la grosseur du système, c’est normal que les décisions prennent du temps. Je comprends la lourdeur administra­tive de la tâche.

Je ressens la tension chez les employés. Certains ont des jeunes enfants ou une condition médicale qui les rend à risque.

RÉAFFECTAT­ION

Je m’enligne pour un mois de réaffectat­ion. Vraiment ? Est-ce que ce sera seulement un mois ? Notre équipe, libérée de sa fonction principale, est distribuée pour pallier les besoins. Nous nous recroisero­ns sur différents quarts de travail, sans contenir notre enthousias­me. Ma première mission consiste à prendre le relais dans une résidence de type familial dès le 28 mars. Les propriétai­res sont revenus de voyage avec des symptômes du coronaviru­s et sont en quarantain­e dans le sous-sol de la demeure. Je m’occupe de la vie quotidienn­e d’une dizaine d’usagers.

Trois jours plus tard, je suis envoyée temporaire­ment dans un bâtiment vieillot où quelques patients ont été relocalisé­s à cause de la crise.

J’adore travailler là ; il y a une ambiance de vieux chalet. La vue sur un plan d’eau donne un cachet incroyable à l’endroit.

DIRECTION L’HÔPITAL

C’est avec tristesse que je quitte cette résidence secondaire sur le bord de l’eau. On a besoin de moi à l’hôpital à partir du 11 avril. Je vais surveiller un patient soupçonné d’être atteint du virus qui est confiné à sa chambre.

Je lui fais la lecture, une manucure, on tisse un lien en quelques jours. Je replonge avec lui dans l’univers western du roman

de l’auteure et journalist­e Dominique Scali, que je suis en train de lire.

Puisque mon patient est en quarantain­e, je lui apporte une lime à ongles neuve et je désinfecte le flacon de vernis.

Je lui laisse la petite bouteille ; je ne peux pas prendre le risque de la rapporter chez moi. Comme s’il s’agissait d’un cadeau précieux, il chérit l’objet et dort même avec. C’est triste et attendriss­ant à la fois.

Dans ce contexte d’isolement social, mes collègues et patients sont les seuls êtres humains que je côtoie.

C’est difficile de garder la distance profession­nelle que mon métier exige.

L’éthique est super importante pour moi ; c’est une de mes forces. Je me regarde passer de l’empathie à la sympathie et m’efforce de prendre du recul pendant mes heures de repos.

LA CAVALERIE S’EN VIENT

Mais la vraie crise n’est pas ici. Elle est dans les CHSLD, là où les patients meurent par dizaines depuis quelques jours. J’ai hâte d’être envoyée au front ; j’ai une âme de soldat. Donneuse de soins, je suis impatiente d’aller en zone rouge, le terme que l’on donne aux milieux atteints par la pandémie.

La cavalerie s’en vient. Ma première mission commencera le 21 avril.

Je vous raconte la suite la semaine prochaine.

 ?? PHOTOS COURTOISIE, DELPHINE BERGERON ET REBECCA DUHAMEL ?? Delphine Bergeron dans ses nouvelles fonctions en CHSLD. En mortaise, on voit le roman western
À la recherche de New Babylon, dans lequel elle plonge en compagnie d’un patient hospitalis­é.
PHOTOS COURTOISIE, DELPHINE BERGERON ET REBECCA DUHAMEL Delphine Bergeron dans ses nouvelles fonctions en CHSLD. En mortaise, on voit le roman western À la recherche de New Babylon, dans lequel elle plonge en compagnie d’un patient hospitalis­é.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada