Un monde à ne rien faire
Ce n’est jamais assez, mais le coup de pouce qu’apportent Ottawa et Québec à ceux que le coronavirus tient loin de leurs activités fait des envieux au sud de la frontière. Des millions d’Américains, avec un trop mince filet social, sortent de chez eux à leur risque et péril.
Tous ceux qui, aux États-Unis, s’interrogent sur la voie que suivra la suite de cette pandémie ont les yeux rivés sur la Géorgie. Le gouverneur Brian Kemp a été agressif dans sa volonté de rouvrir l’économie de son État, au point de s’attirer les critiques de Donald Trump lui-même.
Les églises, les salons de coiffure, de manucure et de tatouage, ainsi que les gyms ont d’abord rouvert, puis, cette semaine, les restaurants et les cinémas. Pas que la Géorgie ait été épargnée par le virus : avec près de 27 000 cas et plus de 1150 décès pour dix millions d’habitants, le bilan est lourd.
Avec cette réouverture hâtive, les modèles développés par les experts en santé publique prévoient une explosion du nombre de victimes géorgiennes de la COVID-19. Sauf que faute d’un soutien suffisant d’Atlanta, les travailleurs – comme le résumait la revue mercredi dernier – se retrouvent face à un dilemme tragique : risquer de mourir au travail ou se ruiner financièrement à la maison.
DES CHIFFRES ÉTOURDISSANTS
L’imagination peine à saisir le nombre d’emplois que le déferlement du coronavirus a fait disparaître. Près de quatre millions de nouveaux demandeurs d’aide au chômage aux États-Unis la semaine dernière et plus de trente millions en six semaines : on se trouve au-delà des tourments de la Grande dépression.
Et de 3,6 % en début d’année, les analystes font dans la surenchère pour prédire le taux de chômage qui s’en vient : près de 10 % à la fin de 2020 pour NABE, une association d’économistes ; 15 % selon Goldman Sachs ; 20 % de chômage, estime JPMorgan Chase !
Les grandes institutions internationales ne sont guère plus encourageantes. Le recul des échanges
commerciaux pourrait atteindre 35 %, selon l’OMC. L’OCDE affirme que les signaux de ses 37 membres – des pays développés pour la plupart – n’ont jamais été aussi alarmants et certains scénarios du Fonds monétaire international entrevoient pire encore que les misères des années 30.
UN SAUVETAGE PLANÉTAIRE
Par chance, les gouvernements et leur banque centrale n’attendent pas
la « main invisible » de l’économie de marché pour agir. L’Allemagne a interrompu son enchaînement de budgets équilibrés et débloqué des centaines de milliards de dollars – 10 % de son PIB – pour amortir le choc de la crise.
Les Américains font pareil, alors que les Japonais ont doublé la mise : un plan de sauvetage qui correspond à 20 % de leur PIB. Au total, on prévoit que 10 000 milliards de dollars en fonds publics seront nécessaires pour retrouver un semblant de normalité.
Conséquence inévitable : une explosion de l’endettement qui va compromettre d’autres investissements pourtant nécessaires dans les infrastructures, en éducation ou dans la lutte au changement climatique. Le président Trump compte sur une reprise à l’automne et une « année spectaculaire » en 2021. À voir les taux de chômage et l’état des finances publiques mondiales, c’est mieux d’être vrai.