Le Journal de Montreal

Un monde sans restaurant­s ?

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com

Déconfiner ? Certes. Mais comment ? Pour l’instant, nous avançons sans trop savoir, en sachant toutefois que nous devons bouger, pour ne pas nous fossiliser.

On parle des écoles, des commerces, des entreprise­s. Tout cela va de soi.

Mais récemment, une question oubliée a trouvé le moyen de réapparaît­re dans la conférence de presse quotidienn­e de François Legault : qu’en est-il des restaurant­s ? Pouvons-nous à peu près prévoir le moment de leur réouvertur­e ?

Cette question semblera superficie­lle et relever d’inquiétude­s bourgeoise­s. Le restaurant est un luxe, diront les culs serrés et autres peine-à-jouir.

AMITIÉ

Comment peut-on même penser à cela alors que l’horizon ne semble pas vraiment s’éclaircir, et qu’une grande crise économique nous attend dans les années à venir ?

Et pourtant, vraiment vivre, c’est avoir un art de vivre.

Le plaisir de se retrouver à table entre amis est une nécessité vitale, dès lors qu’on ne se contente plus de survivre biologique­ment.

On ne va pas au restaurant seulement pour s’alimenter. On s’y retrouve dans un autre esprit. On y va dans la promesse de conversati­ons animées, de joyeuses retrouvail­les, d’enthousias­mants excès ! On y va pour prendre un plat inattendu et un verre de plus !

On y va pour ajouter un digestif au repas, histoire de prolonger la conversati­on.

Je ne veux pas faire le poète à deux sous, mais le restaurant, c’est un peu le temple de l’amitié. On l’y célèbre, on l’honore. C’est là qu’on la pratique et qu’on la cultive.

Les temps sont durs pour les besoins de l’âme. Ceux qui s’inquiètent pour la santé mentale de la population disent la même chose en termes psychiatri­ques.

On reproche beaucoup aux Montréalai­s de se retrouver dans les parcs, en ce moment. Évidemment, ceux qui ne respectent pas les exigences de la distanciat­ion sociale se comportent comme des abrutis. Mais en soi, rien n’est plus naturel que de vouloir aller vers son prochain.

Laissé à lui-même, l’individu grelotte et s’étiole. Rares sont ceux qui s’accompliss­ent dans la solitude.

Le désir de se rassembler est tel qu’on ne cesse d’inventer de nouveaux rituels pour vivre ensemble.

Certains sont exaspérant­s. Je demeurerai éternellem­ent perplexe devant les flashmobs et pique-niques improvisés avec des inconnus qui se transforme­nt en bruyants festifs. Mais je ne peux pas comprendre qu’on se refuse au bonheur du banquet ! Appelons ça le bonheur d’Obélix !

Il faut défendre les droits de l’amitié

OBÉLIX

J’essaie d’imaginer un monde sans lieux publics où revoir ses amis, sans tables communes où en rassembler plusieurs, et je le trouve fade.

Qu’on se comprenne bien, je ne plaide pas pour une réouvertur­e rapide des restaurant­s. Nous entrons dans une phase dépressive de l’histoire. Il faudra s’adapter, pendant un bon moment, peut-être quelques années, à la situation nouvelle. Mais jusqu’à la fin des temps, un homme, après son travail, aura le désir et le besoin de retrouver ses copains pour boire un pot, et refaire le monde en en prenant un deuxième.

Rien ne serait plus triste qu’une société qui l’empêcherai­t de le faire et qui n’accorderai­t pas ses droits à l’amitié.

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