Un monde sans restaurants ?
Déconfiner ? Certes. Mais comment ? Pour l’instant, nous avançons sans trop savoir, en sachant toutefois que nous devons bouger, pour ne pas nous fossiliser.
On parle des écoles, des commerces, des entreprises. Tout cela va de soi.
Mais récemment, une question oubliée a trouvé le moyen de réapparaître dans la conférence de presse quotidienne de François Legault : qu’en est-il des restaurants ? Pouvons-nous à peu près prévoir le moment de leur réouverture ?
Cette question semblera superficielle et relever d’inquiétudes bourgeoises. Le restaurant est un luxe, diront les culs serrés et autres peine-à-jouir.
AMITIÉ
Comment peut-on même penser à cela alors que l’horizon ne semble pas vraiment s’éclaircir, et qu’une grande crise économique nous attend dans les années à venir ?
Et pourtant, vraiment vivre, c’est avoir un art de vivre.
Le plaisir de se retrouver à table entre amis est une nécessité vitale, dès lors qu’on ne se contente plus de survivre biologiquement.
On ne va pas au restaurant seulement pour s’alimenter. On s’y retrouve dans un autre esprit. On y va dans la promesse de conversations animées, de joyeuses retrouvailles, d’enthousiasmants excès ! On y va pour prendre un plat inattendu et un verre de plus !
On y va pour ajouter un digestif au repas, histoire de prolonger la conversation.
Je ne veux pas faire le poète à deux sous, mais le restaurant, c’est un peu le temple de l’amitié. On l’y célèbre, on l’honore. C’est là qu’on la pratique et qu’on la cultive.
Les temps sont durs pour les besoins de l’âme. Ceux qui s’inquiètent pour la santé mentale de la population disent la même chose en termes psychiatriques.
On reproche beaucoup aux Montréalais de se retrouver dans les parcs, en ce moment. Évidemment, ceux qui ne respectent pas les exigences de la distanciation sociale se comportent comme des abrutis. Mais en soi, rien n’est plus naturel que de vouloir aller vers son prochain.
Laissé à lui-même, l’individu grelotte et s’étiole. Rares sont ceux qui s’accomplissent dans la solitude.
Le désir de se rassembler est tel qu’on ne cesse d’inventer de nouveaux rituels pour vivre ensemble.
Certains sont exaspérants. Je demeurerai éternellement perplexe devant les flashmobs et pique-niques improvisés avec des inconnus qui se transforment en bruyants festifs. Mais je ne peux pas comprendre qu’on se refuse au bonheur du banquet ! Appelons ça le bonheur d’Obélix !
Il faut défendre les droits de l’amitié
OBÉLIX
J’essaie d’imaginer un monde sans lieux publics où revoir ses amis, sans tables communes où en rassembler plusieurs, et je le trouve fade.
Qu’on se comprenne bien, je ne plaide pas pour une réouverture rapide des restaurants. Nous entrons dans une phase dépressive de l’histoire. Il faudra s’adapter, pendant un bon moment, peut-être quelques années, à la situation nouvelle. Mais jusqu’à la fin des temps, un homme, après son travail, aura le désir et le besoin de retrouver ses copains pour boire un pot, et refaire le monde en en prenant un deuxième.
Rien ne serait plus triste qu’une société qui l’empêcherait de le faire et qui n’accorderait pas ses droits à l’amitié.