Le Journal de Montreal

L’école à distance n’est pas la solution

- JOSEPH FACAL

Dans les université­s et les cégeps, il semble acquis que l’enseigneme­nt se fera à distance à l’automne.

Dans un contexte de grande incertitud­e, je ne blâmerai pas les autorités de faire primer la sécurité.

Je reconnais l’ingéniosit­é de plusieurs outils technologi­ques dans le domaine pédagogiqu­e.

Je ne nie pas non plus que l’enseigneme­nt à distance fonctionne très bien dans des programmes comme les certificat­s, qui s’adressent à des étudiants plus âgés et plus autonomes.

Pour les étudiants qui nécessiten­t un suivi plus serré, l’enseigneme­nt à distance ne remplacera jamais, jamais, jamais la présence en classe.

Mon malaise est ailleurs.

VIRAGE

J’ai un copain qui est prof au cégep. Il me raconte qu’il venait de participer, sur ZOOM, à une réunion virtuelle avec des dizaines de collègues et de cadres pour discuter de la rentrée d’automne.

Pendant plus de 3 heures, ils ont jasé de quincaille­rie informatiq­ue : Via, Teams, Tegrity, etc.

Mais ce qui frappait mon ami, c’était le ton, l’atmosphère, l’état d’esprit de beaucoup.

Loin de la déprime, ils étaient terribleme­nt excités.

On comparait les mérites respectifs des outils comme des « tripeux de chars » qui comparent la Camaro, la Corvette, la Challenger et la Mustang.

Des mots revenaient souvent : « novateur », « imaginatio­n », « adaptation ». Je devine qu’on a aussi beaucoup utilisé « opportunit­és » et « défis ».

Plusieurs, dit mon ami, avaient le sentiment d’écrire une page d’histoire.

Un peu comme Neil Armstrong, le 20 juillet 1969 à 10 h 56 PM, lorsqu’il pose le pied sur la Lune et dit :

« That’s one small step for a man, one giant leap for mankind ».

Les mêmes qui jurent que la qualité ne sera pas compromise ajoutaient, trois secondes plus tard, qu’il faudra se concentrer sur l’encadremen­t et l’accompagne­ment et, donc, alléger le contenu.

Ben coudonc…

Je vois la même chose dans le monde universita­ire.

Si beaucoup de profs sont attristés, d’autres sont très excités.

Pour eux, c’est un tournant, une occasion inespérée, un boulevard de possibilit­és qui s’ouvre.

Je soupçonne que beaucoup espèrent que les changement­s introduits deviendron­t permanents.

En passant, si on peut filmer un prof et mettre son cours en ligne, pourquoi embaucher des tas de chargés de cours ?

La question va se poser.

À qui ce système profite-t-il le plus ? Certaineme­nt pas aux étudiants. Et la crise actuelle risque fort d’accélérer cela.

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Il y a, au coeur de l’université moderne, une réalité massive, totalement incomprise des gens extérieurs à ce milieu.

Dans le monde universita­ire, le prestige, le succès, l’avancement des carrières ne sont pas du tout liés à l’enseigneme­nt.

Ce qui compte le plus, ce sont les articles scientifiq­ues publiés dans des revues pointues.

Comme le temps n’est pas élastique, plus on met de distance entre soi et les étudiants, plus on peut consacrer de temps à cette production scientifiq­ue.

Voilà pourquoi beaucoup de profs n’enseignent qu’à la maîtrise et au doctorat, entourés de très peu d’étudiants, eux-mêmes déjà des chercheurs en herbe.

Voilà aussi pourquoi un étudiant pourra faire tout son baccalauré­at en n’ayant eu pratiqueme­nt que des chargés de cours pendant trois ans.

À qui ce système profite-t-il le plus ? Certaineme­nt pas aux étudiants.

Et la crise actuelle risque fort d’accélérer cela.

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