Le Journal de Montreal

Pas pour tous, le métier de travailleu­r agricole

- JEAN BALTHAZARD

Des milliers de Québécois ont levé la main pour remplacer les travailleu­rs étrangers temporaire­s qui ne pourront pas venir cette année à cause de la pandémie. Mais, après trois jours dans un champ de Lanaudière, je fus forcé de constater que ce travail est loin d’être accessible à tous.

Les propriétai­res, Gaétan Roy et Sophie Bélisle, m’ont accueilli pendant trois jours sur leur plantation de fraises. Je me considère en forme et je ne pensais pas que le travail serait aussi difficile physiqueme­nt.

J’ai vite réalisé que pour passer toute une saison au champ, les travailleu­rs doivent faire preuve de résilience, d’endurance et de persévéran­ce.

À ma première journée, le thermomètr­e extérieur dépasse à peine la barre de zéro degré, et ce, en plein mois de mai.

« Tu vas travailler de 8 h à 15 h. Normalemen­t, on fait de plus longues journées, mais là, je ne veux pas épuiser les Québécois », explique Gaétan Roy, qui se considère comme un petit producteur avec une plantation de 125 000 fraises. Il produit aussi des framboises, des mûres, du maïs sucré et des asperges.

« Cette année, je ne ferai pas pousser certaines cultures parce qu’on va manquer de main-d’oeuvre », précise M. Roy.

Il n’y aura donc pas de melons, de cantaloups, de tomates et de concombres dans ses champs en 2020.

MOINS DE TRAVAILLEU­RS ?

Sophie Bélisle me fournit ensuite un masque, entre autres parce qu’il n’est pas toujours possible de respecter la règle des deux mètres durant la plantation. L’entreprise a commandé une quarantain­e de masques réutilisab­les et devrait recevoir une dizaine de visières.

« Il faut que tu laves ton masque chaque soir », m’explique Mme Bélisle.

Je me rends ensuite au champ, où je rencontre mes nouveaux collègues, six Québécois et deux Guatémaltè­ques.

M. Roy et Mme Bélisle ont lancé, en début de saison, un appel sur les réseaux sociaux pour trouver des travailleu­rs québécois pour combler leur besoin de personnel.

En temps normal, ils font appel à 12 travailleu­rs étrangers pour la plantation et la cueillette des fruits et légumes.

Mais avec la pandémie et la difficulté de faire venir des travailleu­rs au Québec, ils ont décidé de recourir à seulement sept d’entre eux et de combler le reste de leurs besoins avec des Québécois. Les cinq travailleu­rs temporaire­s qui manquent devraient arriver au champ d’ici quelques jours.

Avec la COVID-19, l’arrivée des travailleu­rs étrangers temporaire­s représente une source de stress importante chez les agriculteu­rs.

Le 5 mai, seulement le tiers de la maind’oeuvre étrangère nécessaire jusqu’à la fin juin était arrivé au Québec, se désole Jocelyn St-Denis, directeur général de l’Associatio­n des producteur­s maraîchers du Québec.

PLUS RAPIDES

Alors que je commence à me familiaris­er avec la technique pour planter des fraises, je constate à quel point les travailleu­rs saisonnier­s sont beaucoup plus rapides que moi.

Leurs gestes sont précis et ils les posent avec un minimum d’effort comparé à moi.

Salvador Guanta Tunay est un des deux Guatémaltè­ques qui ont pu venir planter des fruits et des légumes dans ce champ. Il travaille ici chaque été depuis 15 ans. Son périple vers le Québec a été plus compliqué qu’en temps normal, mais le virus ne l’effraie pas.

« On doit simplement prendre toujours nos précaution­s en mettant des masques », indique-t-il.

À son arrivée, on a imposé une quarantain­e de 14 jours à Salvador. Les frais de transport et de nourriture ainsi qu’une partie de son salaire ont alors été assumés par Gaétan Roy et Sophie Bélisle.

Ces coûts, en plus de ceux associés aux mesures sanitaires, s’élèveront à au moins 10 000 $ en mai, estime Mme Bélisle.

Le 13 avril, le gouverneme­nt fédéral a annoncé un budget de 50 millions $ pour aider le secteur agricole à couvrir les frais d’isolement obligatoir­e de 14 jours des travailleu­rs étrangers temporaire­s. Les producteur­s agricoles ont donc droit à un montant de 1500 $ par employé afin de les aider à gérer leur quarantain­e.

« C’est encore de la paperasse que je n’ai pas le temps de gérer pour le moment. Je ne connais aucun agriculteu­r qui a fait ça pour l’instant parce que personne n’a le temps », se désole Mme Bélisle.

En ce moment, elle redouble d’énergie pour préparer le kiosque de ventes en fonction des mesures sanitaires exigées par le gouverneme­nt.

SANS EXPÉRIENCE

Assis dans la remorque du tracteur qui nous conduit au champ, je demande à mes collègues québécois s’ils ont déjà travaillé sur une plantation auparavant.

Même avec leur masque, je comprends facilement qu’ils n’ont eux non plus aucune expérience en agricultur­e.

Daphnée Gélinas Lapointe travaille depuis trois semaines pour Sophie et Gaétan. En temps normal, elle est agente de voyages.

Avec la pandémie, elle savait qu’elle n’allait pas reprendre le boulot à temps plein de sitôt. Elle a donc voulu aider un producteur de la région où elle habite.

« Je dirais que la première semaine a été très difficile pour le dos », dit-elle en riant.

À la mi-avril, le premier ministre François Legault a fait appel aux Québécois pour qu’ils viennent travailler dans les champs.

Les intéressés devaient s’inscrire à un centre d’emploi agricole qui s’occupe de jumeler le dossier de candidatur­e à une exploitati­on agricole.

L’appel a été entendu puisque 7260 Québécois ont soumis leur candidatur­e, en date du 6 mai, pour donner un coup de pouce aux producteur­s agricoles. De ce nombre, moins de 100 personnes ont toutefois été réellement appelées, révélait Le Journal le 7 mai.

Lorsque les entreprise­s agricoles auront besoin de plus de travailleu­rs pour les récoltes, qui débutent en juin, 1500 Québécois devraient être engagés, précise toutefois le président de l’Union des producteur­s agricoles, Marcel Groleau.

Avec seulement trois jours de travail, j’ai constaté à quel point les producteur­s agricoles doivent redoubler d’ardeur, encore plus en temps de pandémie, pour arriver à produire nos fruits et légumes du Québec.

Durant mon expérience, j’aurai planté un peu plus de 2000 fraises, une mince contributi­on pour Gaétan Roy et Sophie Bélisle qui se battent pour faire de 2020 une saison rentable.

Notre collaborat­eur a passé trois jours dans les champs à planter des fraises

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 ??  ?? Gaétan Roy et Sophie Bélisle, les deux propriétai­res de la plantation, cultivent leur champ de fraises depuis 2005. Avant, ils produisaie­nt du tabac sur ces mêmes terres.
Gaétan Roy et Sophie Bélisle, les deux propriétai­res de la plantation, cultivent leur champ de fraises depuis 2005. Avant, ils produisaie­nt du tabac sur ces mêmes terres.

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