Le Journal de Montreal

RIEN N’A CHANGÉ, C’EST TOUJOURS « LE CONFORT ET L’INDIFFÉREN­CE »

Quarante ans après son documentai­re sur le référendum, Denys Arcand affirme que la donne n’a pas changé

- Le film Le Confort et l’indifféren­ce est disponible en ligne au www.onf.ca/film/ confort_et_lindiffere­nce/

Pour se replonger dans l’époque du premier référendum, il n’y a sans doute rien comme le célèbre documentai­re Le confort et l’indifféren­ce de Denys Arcand.

D’ailleurs, dans nos écoles, notamment au cégep, autant en histoire qu’en philosophi­e, plusieurs professeur­s, chaque année, le présentent à leurs étudiants.

Joint la semaine dernière, Denys Arcand nous explique qu’il a mis « beaucoup trop longtemps » à faire ce film : quatre ans !

La production avait été lancée tout de suite après l’élection du Parti québécois, en 1976. La promesse du PQ était de tenir un référendum sur la souveraine­té-associatio­n dans le premier mandat.

LOS TABARNACOS

« Je ne voulais pas faire ce film-là du tout », raconte Arcand à propos des mois qui ont précédé la décision de se lancer dans l’aventure. Il souhaitait consacrer son projet aux touristes québécois qui se rendent au Mexique.

À l’époque, il y avait une entente entre le Canada et la contrée des sombreros pour cofinancer des production­s.

« Je voulais appeler ça Los tabarnacos parce que les Québécois, lorsqu’ils sont touristes, c’est un bon sujet de comédie. »

Mais l’entente entre les deux pays s’enraya, et lui, pigiste à l’époque, se retrouva « un peu sans emploi ».

Il se laissa donc convaincre par le producteur Roger Frappier de suivre la campagne référendai­re et d’en tirer un documentai­re.

Sauf que le gouverneme­nt Lévesque a attendu presque quatre ans avant de déclencher sa consultati­on populaire, mettant l’accent sur sa promesse de constituer un « bon gouverneme­nt ».

Denys Arcand, qui avait négocié un forfait en guise de rémunérati­on, se retrouva presque désargenté.

LE TITRE EXPLIQUÉ

Mais le résultat est magistral et extrêmemen­t grinçant. Certains Tabarnacos semblent apparaître ici et là. Notamment dans cette scène marquante : la veille du vote, le 19 mai, se tient au Stade olympique le salon de la camionnett­e modifiée.

La voilà illustrée, « l’indifféren­ce » du titre. « C’est pas comme si on avait senti dans la rue que le destin du peuple allait changer. En fait, une grande partie des Québécois s’en fichaient éperdument. »

Quant au premier mot du titre, il vient de ce constat du cinéaste. « Ce à quoi les gens tenaient le plus, c’était leur confort. Tous les arguments du référendum, pour et contre, tournaient toujours à propos du confort. “Vous allez perdre vos pensions”, “vos pensions vont être augmentées” ! “L’assurance-chômage n’existera plus…” Il y a même eu des débats sur les timbres-poste dans un Québec indépendan­t. C’était affligeant, en fait. Le niveau de discussion était très très bas. »

REGARD DÉSABUSÉ

C’est ce regard désabusé qu’Arcand pose sur la campagne référendai­re. Revoir le documentai­re des décennies plus tard, ce désabuseme­nt semble même amplifié, comme si la réalité politique prenait des allures ridicules à l’instar des énormes lunettes en vogue à l’époque.

Il y a par exemple cette scène où Arcand reconstitu­e le « Ô Canada » chanté à la fin des rassemblem­ents politique du NON, en collant des bouts de l’hymne entonné par les ténors fédéralist­es.

Leur mine grave et leurs notes incertaine­s confèrent à ce chant quelque chose de sinistre. « C’est une de mes préférées », dit d’ailleurs le cinéaste.

Sans narration, le film donne toutefois la parole au penseur Machiavel (1459-1527), incarné par le comédien Jean-Pierre Ronfard, qui vient anachroniq­uement, en haut d’un édifice du coeur de Montréal, déclamer des extraits du Prince pour expliquer les méthodes de Pierre Elliott Trudeau.

À l’époque, le film a du succès, mais suscite aussi des réactions assez « violentes ». Un éditorial du Devoir le condamne pour « mépris du peuple » et « défaitisme », se souvient Arcand.

PLUS JAMAIS

Le soir du 20 mai, au Centre Paul-Sauvé, là où le camp du OUI encaisse la défaite, où René Lévesque lance son « à la prochaine fois », Arcand se souvient qu’il était épuisé et « malade comme un chien ».

« Je m’étais promis à ce moment de ne plus jamais faire un film documentai­re politique comme celui-là. »

Il aurait pu changer d’idée, s’il y avait eu du nouveau dans notre vie politique. « Mais fondamenta­lement, c’est toujours la même donne qui ne varie presque pas. Et donc, je n’ai jamais jusqu’ici vu l’intérêt d’y revenir. »

 ?? PHOTOS D’ARCHIVES ?? Denys Arcand ne se doutait pas à l’époque que son documentai­re, Le confort et l’indifféren­ce, sorti en 1981, serait aussi important pour la mémoire du référendum de 1980. On le voit au centre, en compagnie de Bernard Landry, lors du tournage. En mortaise, une image de René Lévesque tirée du documentai­re.
PHOTOS D’ARCHIVES Denys Arcand ne se doutait pas à l’époque que son documentai­re, Le confort et l’indifféren­ce, sorti en 1981, serait aussi important pour la mémoire du référendum de 1980. On le voit au centre, en compagnie de Bernard Landry, lors du tournage. En mortaise, une image de René Lévesque tirée du documentai­re.

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