Le départ des Nordiques a marqué le début d’une série de deuils pour Claude Scott QUAND LA TROMPETTE S’EST TUE
QUÉBEC | Il y a 25 ans jour pour jour, le glas des Nordiques sonnait. Dans le sillon de son départ vers le Colorado, l’équipe laissait à Québec de nombreux employés dévastés. Pour Claude Scott, maître dans l’art de manier les foules par la trompette et les pirouettes, il s’agissait de la première chute dans une éprouvante cascade d’épreuves, qui ont été jusqu’à mettre en sourdine son instrument fétiche.
Le trompettiste heureux, c’était le surnom, la marque de commerce de Claude Scott. Et ce, dès qu’il a commencé à souffler et offrir ses pitreries uniques aux Oilers d’Edmonton, dans l’AMH, avant que les Nordiques et leurs partisans s’approprient sa douce folie.
Ses « mauvais coups », comme il les qualifie, ont parfois fait le tour de l’Amérique. L’avalanche de papier de toilette du 23 janvier 1989, quand il s’est déguisé en arbitre aveugle pour narguer Kerry Fraser, a été encouragée par Scott. Bébé Lindros et le raz-de-marée de suces sur la glace en 1992, c’est aussi lui. Pas étonnant que les doses déjantées de bonheur qu’il a administrées aux spectateurs du Colisée soient imprégnées dans le folklore des Nordiques.
Le 25 mai 1995, cependant, le joyeux luron de toujours a fait place au clown triste.
« J’ai trouvé ça extrêmement pénible. C’était comme si je perdais une partie de moi-même, de mon identité. C’était comme si je vivais un décès », a-t-il raconté au
Journal lors d’une longue entrevue, 25 ans après la journée qui a remué Québec.
« Le monde au Colisée, c’était ma deuxième famille. Je n’allais pas travailler, j’allais jouer pour mes amis. Je marchais dans les couloirs et tout le monde me parlait. J’aimais le monde et le monde m’aimait. »
ADIEU, MARIE-CLAUDE…
Le départ des Nordiques s’est avéré le premier grand chagrin. Peu de temps après, le décès de ses parents a frappé fort. Un autre coup bas de la vie.
La grande blessure, celle qui ne guérira jamais, est toutefois survenue en 2006. Jeune infirmière de 23 ans au CHUL, sa Marie-Claude, son trésor de fille, est décédée subitement d’un anévrisme au cerveau.
Le départ des Nordiques avait laissé un grand vide. Celui de sa fille, un abysse de douleur.
« Je n’oublierai jamais qu’une semaine avant son décès, on jasait ensemble et elle me disait qu’il fallait que je fasse attention à moi, qu’elle voulait vraiment que je vive vieux. Finalement, c’est elle qui est partie. Ç’a été l’enfer pour moi de vivre ça. L’enfer… », soupire-t-il.
LA PIRE DES DOULEURS
Les mois et années qui ont suivi cet épisode tragique n’ont ressemblé en rien aux airs entraînants que Claude Scott a entonnés sans relâchement pendant 16 ans avec les Nordiques.
Si le trompettiste a continué de bourlinguer aux quatre coins de l’Amérique en trimballant son instrument, il a tout largué après quelques dernières apparitions, en 2010.
Durant ses multiples esclandres théâtraux dans les arénas, Scott a vécu son lot de péripéties. À San Antonio, au Texas, un homme en boisson a déjà pointé un fusil sur sa tempe avant que les forces policières n’interviennent. À Saginaw, au Michigan, il a été poignardé. À quelques reprises, des chutes ont provoqué des commotions cérébrales. Jamais rien qui ne s’est approché, toutefois, d’une douleur aussi vive que la perte d’un enfant.
« À force de vivre des épreuves, tu n’as plus envie de faire des culbutes, de te péter la tête dans les baies vitrées, de faire le fou pour les gens. Les Nordiques, mes parents, ma fille… Tout ça m’a déchiré le coeur. J’ai tout arrêté, je ne joue plus », tranche celui qui travaille aujourd’hui comme agent de sécurité.
UN CANADIEN À LA RESCOUSSE
Même si la trompette est remisée et que l’amuseur ne fait plus les délices des fervents des Nordiques, le sourire
est revenu tant bien que mal.
Ironiquement, pour ce fidèle des Fleurdelisés, c’est un ennemi juré d’un passé pas si lointain, l’ancien du Canadien Mario Roberge, qui l’a épaulé dans sa quête du bonheur retrouvé.
« Dans le temps, dès qu’il se retrouvait près de la bande, je faisais exprès d’aller lui crier toutes sortes d’affaires. Je ne l’aimais pas pantoute parce que j’ai toujours été un Nordiques pure race. Un jour, je l’ai rencontré par hasard à la pêche sur un lac et ça a cliqué.
« Il a passé lui aussi des moments difficiles. Deux grands amis se sont aidés avec leurs bibittes. Mario a su me brasser pas mal quand j’étais au plus creux », lance le trompettiste, reconnaissant.
UNE PROMESSE
À 65 ans bien sonnés, Claude Scott accepte malgré lui que sa fille soit partie pour ne plus revenir. Le constat, aussi cruel soit-il, l’aide à continuer d’avancer.
Quant à un autre des amours de sa vie, qui a fugué vers Denver il y a 25 ans, l’espoir de retrouvailles vivote toujours, comme l’écho de ses notes qui résonnent encore dans les vieux murs du Colisée.
« Si les Nordiques reviennent, je te jure que je ressors ma trompette et que je recommence », promet-il.