Les autorités informées du danger
Le gouvernement libanais a été avisé des risques de l’entreposage d’ammonium des mois avant l’explosion
AFP | Un rapport faisant état de la dangerosité d’entreposer des tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt portuaire mal entretenu était à la disposition des autorités libanaises depuis des mois, et aurait sans doute pu éviter la tragique explosion qui a déchiré la capitale.
Le 3 août, un jour avant le drame qui a fait plus de 171 morts et 6000 blessés jusqu’à présent, le ministre des Travaux publics libanais, Michel Najjar, a reçu une lettre du Conseil supérieur de défense soulignant le danger que représentait la présence du nitrate d’ammonium au port.
M. Najjar a alors demandé à son conseiller de contacter le président du conseil d’administration du port, Hassan Koraytem, aujourd’hui en détention, pour lui réclamer tous les documents relatifs au dossier.
À ce moment, la direction du port s’est enfin décidée à colmater une brèche dans l’entrepôt, malgré une directive envoyée il y a trois mois par la Sûreté de l’État.
Dans ce hangar, il y avait aussi « de la poudre à canon, des feux d’artifice et des seaux de peinture », selon une source de sécurité.
D’après cette même source, les travaux de maintenance menés le 4 août ont probablement provoqué un incendie, qui a causé la gigantesque explosion qui a transformé en champs de ruines des quartiers entiers de Beyrouth.
La cargaison de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium à l’origine de la déflagration avait été saisie sur un bateau ayant fait escale à Beyrouth en novembre 2013, et gardée dans un entrepôt dédié aux marchandises confisquées.
ENQUÊTE SEPT ANS PLUS TARD
Ce n’est qu’en janvier 2020 qu’un important organisme de sécurité du pays, la Sûreté de l’État, a entamé une enquête.
Dans son rapport interne conclu quelques semaines plus tard, et que l’AFP a consulté, elle souligne que « des matières dangereuses utilisées pour la fabrication d’explosifs » se trouvent dans l’entrepôt et qu’une « matière liquide du genre nitroglycérine hautement inflammable suinte » du hangar.
Elle cite également une experte en chimie qui s’était rendue sur place : « Ces matières,
RAPPORT TABLETTÉ
si elles prennent feu, provoqueront un énorme incendie dont les conséquences pourraient presque entièrement détruire le port ».
Pour une raison indéterminée, ce rapport est resté dans les tiroirs pendant plusieurs mois. Ce n’est qu’à la fin mai qu’il a été envoyé au procureur, qui a donné l’ordre de faire garder le hangar et de colmater la brèche. Juste après, il a été envoyé à la direction du port.
Le 20 juillet, le président, Michel Aoun, et le premier ministre démissionnaire, Hassan Diab, ont reçu à leur tour le rapport de la Sûreté de l’État.
Vendredi dernier, M. Aoun a confirmé sa réception en disant l’avoir envoyé au Conseil supérieur de défense, qui s’est quant à lui adressé au ministre des Travaux publics.
Depuis l’explosion, responsables politiques, judiciaires et sécuritaires se rejettent la responsabilité.
« Je ne suis pas responsable, je n’ai pas les prérogatives de traiter directement avec le port, il y a une hiérarchie qui doit connaître ses devoirs », a dit M. Aoun.
Le gouvernement de Hassan Diab a pour sa part démissionné lundi. Mais cela n’a pas suffi pour calmer les manifestants, demandant le départ de l’ensemble de la classe politique, qu’ils tiennent responsable du drame.
« Tous veut dire tous », clament-ils. Depuis samedi, les heurts entre les manifestants et les forces de l’ordre près du parlement, à Beyrouth, ont fait des dizaines de blessés.
HOMMAGE AUX VICTIMES
Mardi, à 18 h 08 – heure locale –, les cloches des églises ont retenti et les appels à la prière dans les mosquées ont été lancés. C’est à cette heure-là que la capitale a été secouée le 4 août par la gigantesque déflagration.
« Nous ne ferons pas notre deuil, nous ne porterons pas le noir avant d’avoir enterré le pouvoir », a lancé un orateur devant la foule de Libanais, la plupart vêtus de blanc, rassemblés aux portes du port dévasté.
« Mon frère est mort à cause de la négligence de l’État, à cause de la corruption », a lâché Ali Nourredine, tenant le portrait d’Ayman, 27 ans, un militaire qui était au port.