UN MONOPOLE DU RECYCLAGE POUR UNE FIRME DÉLINQUANTE
Québec n’a pas cru bon d’intervenir quand l’entreprise Ricova a racheté un concurrent en difficultés financières
Une firme de déchets et recyclage qui cumule les plaintes et les litiges est parvenue à prendre le contrôle des deux seuls centres de tri de Montréal avec l’accord du gouvernement du Québec.
L’entreprise Ricova, désormais le plus gros joueur de la région métropolitaine dans le recyclage, a pourtant une feuille de route peu reluisante, a constaté notre Bureau d’enquête :
■ Plusieurs villes ont rompu des contrats avec elle, car le travail n’était pas fait correctement.
■ Elle a fait de l’entreposage illégal de déchets.
■ Les chauffeurs de Ricova et la compagnie ont cumulé 63 infractions de sécurité routière en trois ans. Leur permis pour véhicules lourds porte une mention spéciale.
■ D’ex-employés disent ne pas avoir été payés. Plusieurs sources dans l’industrie nous ont d’ailleurs confié sous le couvert de l’anonymat que Ricova est une entreprise « cowboy ».
VICTIME DE LA CRISE
Ricova, déjà un important courtier, a pu asseoir sa dominance en rachetant à la fin juillet les actifs et les contrats d’un autre gros joueur en difficultés financières, Rebuts Solides Canadiens (RSC).
RSC détenait une quarantaine de contrats de collecte sur la Rive-Sud et à Montréal et opérait trois centres de tri, à Lachine, Saint-Michel et Châteauguay.
Victime de la crise du recyclage depuis deux ans, RSC s’est protégée de ses créanciers en janvier.
L’entreprise déclarait des pertes depuis des mois, notamment parce qu’elle devait payer pour se débarrasser du papier contaminé, qui ne trouve plus preneur sur le marché international.
Le partage des pertes issues de ces ventes et un financement de 29 M$ en 2018 de la part de la Ville de Montréal n’ont pas permis de sauver l’entreprise.
QUÉBEC NE S’OPPOSE PAS
Quand RSC s’est placée à l’abri de ses créanciers, le gouvernement du Québec et Recyc-Québec ont maintenu l’entreprise à flot en lui prêtant 9 M$.
Ce prêt a placé le ministère de l’Environnement comme premier créancier, lui permettant de s’opposer à la vente des actifs à Ricova, ce qu’il n’a pas fait.
Selon Québec, il n’était pas possible de trouver une entreprise avec un meilleur bilan.
« Quarante-deux entreprises ont été sollicitées et l’offre de Ricova était la seule qui permettait le maintien de l’intégralité des services aux citoyens », soutient le Ministère par courriel, disant avoir vérifié que Ricova a l’autorisation d’obtenir des contrats publics.
Selon deux sources près du dossier, Québec « se foutait » des antécédents de Ricova.
« Le ministère dit : “Pour nous, tant que les bacs sont ramassés, les citoyens vont être contents” », confie l’une d’elles.
En entrevue, le propriétaire de Ricova, Dominic Colubriale, indique qu’il était « le meilleur pour acheter » RSC parce que son entreprise est « plus intégrée ».
« Vous n’êtes pas capable de voir la valeur qu’on amène au recyclage au Québec », s’est-il défendu.
M. Colubriale estime que c’est grâce à son travail d’exportateur « qu’on a été capable de continuer à développer des programmes de recyclage à Montréal ».
« On trouve des marchés pour tout le monde. RSC, dans le temps de la faillite, c’est rien que nous qui étions capables de sortir leur papier », avance-t-il.