Terrorisme linguistique
Ce qui s’est produit à l’Université d’Ottawa ces derniers jours relève du délire.
Une professeure, Verushka Lieutenant-Duval, a expliqué dans un cours que les termes péjoratifs à l’endroit d’un groupe peuvent parfois être récupérés par ce même groupe.
Et elle donna comme exemple le mot « nègre ». Elle aurait pu parler du mot « queer », paraît-il. (N’y avait-il pas un peu de cela dans le « I’m a Frog, your a Frog, kiss me », de Charlebois ?)
Mal lui en a pris. Une étudiante qui a vu une agression dans cet usage du « mot commençant par n » a déposé une plainte. En dépit des intentions pédagogiques de Mme Lieutenant-Duval.
Cette dernière a malgré tout cru nécessaire de présenter des excuses. Elle fut suspendue, puis réintégrée.
Malgré la contrition et les mises au point, l’université permettra aux étudiants choqués d’éviter désormais la professeure. Mais rassurons-nous, cette dernière « est libre de continuer son cours, ce qu’elle a fait vendredi dernier, comme d’habitude, en bénéficiant de sa pleine liberté académique », certifiait le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont.
IGNORER L’INTENTION
Liberté académique ? Qu’estce que la liberté de s’exprimer si certains étudiants n’ont même plus l’intelligence, et encore moins la générosité, de considérer le contexte dans lequel les mots sont utilisés ? Si la direction de l’université, comme elle le fait dans le texte de Frémont, nie toute légitimité aux membres d’un prétendu « groupe dominant » pour dialoguer ?
On nage plutôt dans une sorte de terrorisme linguistique.
Un mot peut être blessant, certes, mais seulement s’il est accompagné d’une intention malveillante. La professeure clouée au pilori n’en avait aucune.
LAFERRIÈRE
À l’occasion du changement de titre d’un roman d’Agatha Christie (oui, celui auquel vous pensez), l’écrivain Dany Laferrière s’est penché, dans une capsule à France Culture, sur le fameux mot honni. L’académicien l’utilise lui-même dans ses romans, notamment dans le titre de deux d’entre eux.
Notons qu’exactement comme Mme Lieutenant-Duval, il estime que de « revendiquer quelque chose qui pourrait être dérogatoire ou insultant ou qui pourrait vous diminuer et en faire exactement votre identité, c’est une des plus vieilles revanches humaines ».
Car pour lui, « le mot nègre, c’est un mot qui vient d’Haïti » ; c’est un mot « qui veut dire homme, simplement ». Dans ce pays, on pourrait même dire « ce Blanc est un bon nègre », insiste-t-il, précisant toutefois que seuls les gens originaires du pays peuvent l’utiliser dans ce sens.
Et surtout, pas à tort et à travers. On sait, précise Laferrière, quand on le manie pour insulter, pour « vous humilier ou pour vous écraser. On sait aussi quand c’est un autre emploi ».
D’ailleurs en 2008, il pourfendait l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu qui avait, dans un article, qualifié la gouverneure générale de l’époque, Michaëlle Jean, de « reinenègre » ! VLB avait rétorqué que le terme désignait un colonisé qui prend la tête d’un état colonisateur.
Mais dans ce cas, c’était vraiment une « insulte » condamnable, avait tranché Laferrière. « On n’est pas assez bête pour ne pas sentir une gifle », écrivait-il. De même, on devrait être assez intelligent pour « sentir » lorsqu’il n’y en a pas.
Un mot peut être blessant, certes, mais seulement s’il est accompagné d’une intention malveillante.