Un polar tragiquement vrai
On pourra porter les jugements que l’on veut sur l’engagement politique de Jean-François Lisée et sur sa personnalité, qui ne laissent personne indifférent.
Mais qui niera sérieusement qu’il est un des plus brillants journalistes du Québec moderne, peut-être le meilleur ?
Il le prouve encore avec son dernier ouvrage, Insurrection appréhendée. Le grand mensonge d’Octobre 1970 (Carte blanche/La boîte à Lisée).
Si ces événements n’étaient pas si tragiquement vrais, si profondément tristes, on ne se retiendrait pas pour dire que l’ouvrage est le meilleur polar paru chez nous récemment.
LA VÉRITÉ
Dans un style enlevant, Lisée relate les faits et déboulonne, pièces à l’appui, les cinq principaux mythes entourant Octobre 1970.
Mythe 1: la crise était imprévisible et les autorités furent prises au dépourvu.
Faux : le FLQ était actif depuis 1963, la GRC avait prévenu les autorités politiques que des enlèvements étaient en préparation, et les felquistes étaient notre version locale de ce que l’on voyait ailleurs dans le monde à ce moment.
Mythe 2 : la riposte des autorités fut proportionnelle à la gravité de la menace.
Faux : le terrorisme fut beaucoup plus organisé et sanglant dans des démocraties occidentales dont les autorités n’osèrent jamais aller si loin dans la suspension, pour délit d’opinion, des libertés civiles d’innocents.
Non, le FLQ n’était pas une armée de l’ombre, bien équipée et entraînée : il y avait une vingtaine d’individus actifs, soutenus par une quinzaine de collaborateurs périphériques.
Mythe 3 : la Loi des mesures de guerre fut décidée dans la fièvre du moment.
Faux : Bourassa et Trudeau caressent l’idée, la soupèsent, l’apprivoisent, puis l’endossent froidement.
Mythe 4 : Bourassa est mou et Trudeau est dur.
Faux : Bourassa veut la manière forte, la demande, insiste, presse Trudeau, qui, il est vrai, a besoin de très peu de temps pour comprendre tout le profit politique qu’il peut en tirer, en plus de détenir l’autorité ultime.
Mythe 5 : Laporte meurt accidentellement, asphyxié par la chaînette autour du cou pendant qu’on essaie de le faire taire.
Faux : la seule question en suspens est de savoir si Jacques Rose et Francis Simard l’ont froidement exécuté, ou s’ils l’ont achevé parce qu’ils n’arrivaient pas à le faire taire.
Dans les deux cas, c’est un meurtre. Bernard Lortie et Paul Rose n’étaient pas sur les lieux, mais Paul Rose n’a jamais nié son coup de téléphone aux deux autres pour recommander l’exécution de Laporte.
Bref, qu’on me pardonne un jeu de mots minable : lisez Lisée. C’est passionnant.
TROP ?
Plus largement, j’ai lu qu’on parlait trop de la crise d’Octobre.
Non, c’est tout simplement l’événement le plus dramatique de l’histoire du Québec moderne, et il baigne dans les mythes et les demi-vérités.
On ne peut, d’un côté, déplorer l’ignorance de notre histoire par tant de nos jeunes et, de l’autre, se plaindre qu’on la rappelle.
Glorifie-t-on le FLQ ? Qui ? Personne. Ce n’est pas glorifier que de remettre un événement dans son contexte.
Pour juger, il faut comprendre, et pour comprendre, il faut contextualiser.
C’est l’essence du métier d’historien ou de journaliste d’enquête.