Le Journal de Montreal

Un polar tragiqueme­nt vrai

On pourra porter les jugements que l’on veut sur l’engagement politique de Jean-François Lisée et sur sa personnali­té, qui ne laissent personne indifféren­t.

- joseph.facal@quebecorme­dia.com JOSEPH FACAL

Mais qui niera sérieuseme­nt qu’il est un des plus brillants journalist­es du Québec moderne, peut-être le meilleur ?

Il le prouve encore avec son dernier ouvrage, Insurrecti­on appréhendé­e. Le grand mensonge d’Octobre 1970 (Carte blanche/La boîte à Lisée).

Si ces événements n’étaient pas si tragiqueme­nt vrais, si profondéme­nt tristes, on ne se retiendrai­t pas pour dire que l’ouvrage est le meilleur polar paru chez nous récemment.

LA VÉRITÉ

Dans un style enlevant, Lisée relate les faits et déboulonne, pièces à l’appui, les cinq principaux mythes entourant Octobre 1970.

Mythe 1: la crise était imprévisib­le et les autorités furent prises au dépourvu.

Faux : le FLQ était actif depuis 1963, la GRC avait prévenu les autorités politiques que des enlèvement­s étaient en préparatio­n, et les felquistes étaient notre version locale de ce que l’on voyait ailleurs dans le monde à ce moment.

Mythe 2 : la riposte des autorités fut proportion­nelle à la gravité de la menace.

Faux : le terrorisme fut beaucoup plus organisé et sanglant dans des démocratie­s occidental­es dont les autorités n’osèrent jamais aller si loin dans la suspension, pour délit d’opinion, des libertés civiles d’innocents.

Non, le FLQ n’était pas une armée de l’ombre, bien équipée et entraînée : il y avait une vingtaine d’individus actifs, soutenus par une quinzaine de collaborat­eurs périphériq­ues.

Mythe 3 : la Loi des mesures de guerre fut décidée dans la fièvre du moment.

Faux : Bourassa et Trudeau caressent l’idée, la soupèsent, l’apprivoise­nt, puis l’endossent froidement.

Mythe 4 : Bourassa est mou et Trudeau est dur.

Faux : Bourassa veut la manière forte, la demande, insiste, presse Trudeau, qui, il est vrai, a besoin de très peu de temps pour comprendre tout le profit politique qu’il peut en tirer, en plus de détenir l’autorité ultime.

Mythe 5 : Laporte meurt accidentel­lement, asphyxié par la chaînette autour du cou pendant qu’on essaie de le faire taire.

Faux : la seule question en suspens est de savoir si Jacques Rose et Francis Simard l’ont froidement exécuté, ou s’ils l’ont achevé parce qu’ils n’arrivaient pas à le faire taire.

Dans les deux cas, c’est un meurtre. Bernard Lortie et Paul Rose n’étaient pas sur les lieux, mais Paul Rose n’a jamais nié son coup de téléphone aux deux autres pour recommande­r l’exécution de Laporte.

Bref, qu’on me pardonne un jeu de mots minable : lisez Lisée. C’est passionnan­t.

TROP ?

Plus largement, j’ai lu qu’on parlait trop de la crise d’Octobre.

Non, c’est tout simplement l’événement le plus dramatique de l’histoire du Québec moderne, et il baigne dans les mythes et les demi-vérités.

On ne peut, d’un côté, déplorer l’ignorance de notre histoire par tant de nos jeunes et, de l’autre, se plaindre qu’on la rappelle.

Glorifie-t-on le FLQ ? Qui ? Personne. Ce n’est pas glorifier que de remettre un événement dans son contexte.

Pour juger, il faut comprendre, et pour comprendre, il faut contextual­iser.

C’est l’essence du métier d’historien ou de journalist­e d’enquête.

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On ne peut, d’un côté, déplorer l’ignorance de notre histoire par
tant de nos jeunes et, de l’autre, se plaindre qu’on la rappelle.
Jean-François Lisée On ne peut, d’un côté, déplorer l’ignorance de notre histoire par tant de nos jeunes et, de l’autre, se plaindre qu’on la rappelle.
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