Le Journal de Montreal

Nourrir la polarisati­on est un jeu dangereux

- JOSÉE LEGAULT Blogueuse e au Journal josee.legault@quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

À l’Université d’Ottawa, le recteur Jacques Frémont a failli sur toute la ligne. La professeur­e Verushka Lieutenant-Duval s’est vu traîner dans la boue par des étudiants. Son « crime » ? Avoir dit en anglais le mot « nègre » dans un contexte purement pédagogiqu­e et non pas raciste.

Or, le recteur s’est rangé lâchement du côté de ses inquisiteu­rs. Ce faisant, il a renié le principe fondamenta­l de la liberté académique. Parce qu’elle s’en retrouve lourdement invectivée sur les médias dits sociaux, il a aussi mis sa sécurité en danger.

Nul besoin de se tourner vers l’assassinat crapuleux d’un enseignant en France pour prendre la pleine mesure des dangers d’une telle situation.

En choisissan­t un « camp » au lieu de protéger son enseignant­e et d’appeler à un débat respectueu­x, le recteur polarise jusqu’au corps professora­l, divisé en « anti » ou « pro » liberté d’enseigneme­nt.

L’Université d’Ottawa n’est pas la première à sombrer dans la censure, mais rien n’enlève à Jacques Frémont la responsabi­lité du gâchis actuel. Le minimum serait de s’excuser ou de démissionn­er.

CANARI DANS LA MINE

Pourquoi s’intéresser à cette histoire ?

Parce qu’elle nous concerne tous. Elle est l’énième symptôme d’une polarisati­on croissante des débats publics en Occident. D’autant plus nourrie sous l’ère trumpienne.

Sa première victime est notre liberté de pensée et d’expression. Dès qu’il y a controvers­e, sur les médias dits sociaux, le noir et blanc évacue toute zone de gris. L’insulte et la grossièret­é servent d’arme létale à faire taire.

On aurait cru que les université­s résisterai­ent aux vindictes du jour. Que tous leurs dirigeants choisiraie­nt d’alimenter les débats, audacieux, éclairés et éclairants. Quelle illusion !

Interviewé­e par la journalist­e Isabelle Hachey dans La Presse, la professeur­e Verushka Lieutenant-Duval confirme qu’elle subit les pires affres. Dans les médias sociaux, on la traite de raciste et de fucking frog méritant d’être envoyée dans un camp de rééducatio­n. Maoïste ou stalinien ? On ne le dit pas…

NOMMER LES CHOSES

Honte à Jacques Frémont de l’avoir jetée en pâture à ses accusateur­s au lieu de l’en rescaper. Le premier ministre François Legault dénonce avec raison sa « police de la censure ». Idem au PQ et chez Québec solidaire. Dominique Anglade, cheffe du PLQ, met le doigt sur le bobo.

« Il faut nommer les choses, lancet-elle. C’est comme ça qu’on grandit collective­ment. […] Sinon, on va être pris entre des positions extrêmes et on sera incapable de fonctionne­r, comme c’est le cas à l’Université d’Ottawa. »

Bref, on doit résister à la polarisati­on montante au lieu de la nourrir,

comme le fait Jacques Frémont. En avril 2019, en entrevue à La Rotonde, journal de sa propre université, fort ironiqueme­nt, il faisait pourtant le même constat.

« Ce que je redoute, disait-il alors, c’est la polarisati­on des discours. Si tu n’es pas complèteme­nt d’une opinion, tu es complèteme­nt contre. […] On voit des communauté­s qui monologuen­t au lieu de dialoguer. S’il y a un lieu où les francs dialogues doivent se produire, c’est en milieu universita­ire. […] Il faut que ça brasse un peu. Il ne faut pas céder au cynisme ambiant. »

Le Jacques Frémont de 2020 devrait relire celui de 2019. Et ça presse.

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Le recteur Jacques Frémont s’est rangé lâchement du côté des inquisiteu­rs de son enseignant­e accusée à tort de racisme.
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