Claude Villeneuve
Une fausseté qu’on entend souvent, c’est de prétendre que certains journaux ferment parce que les gens ne les lisent plus. C’est plutôt le contraire, en fait.
Règle générale, une publication comme Le Journal a toujours autant de lecteurs dans sa version imprimée. On a bien perdu quelques abonnements dans les Normandin et les Tim Hortons avec la pandémie, mais beaucoup de gens ont compensé en se reprenant un abonnement à la maison.
Surtout, nous sommes beaucoup plus lus en ligne. Évidemment, ça fait 25 ans que l’information se déplace vers l’internet, la pandémie n’a que renforcé cette tendance. Pour Le Journal de Montréal, par exemple, nous enregistrons une progression de 20 % du trafic sur nos différentes plateformes numériques par rapport à 2019.
Et quiconque oeuvre dans les médias peut vous le dire : depuis le début de la pandémie, on le sent que vous êtes là, chers lecteurs. Ce lien essentiel dans la solitude collective que nous expérimentons, il nous fait vivre nous aussi, artisans de l’information.
GUERRE ODIEUSE
Les médias de masse jouent un rôle essentiel pour créer une vraie conversation démocratique. En période de crise, c’est encore plus important.
Mais les journaux vont mal. C’est une réalité. Juste depuis le début de la pandémie, 48 journaux locaux ont mis fin à leurs activités au Canada. Depuis 10 ans, ce nombre dépasse les 300.
Pourquoi les journaux vont-ils mal, s’ils sont encore lus, donc ?
C’est très simple. C’est parce que le dollar publicitaire, lui, est parti chez les GAFAM.
80 %. C’est la proportion des 6 milliards de revenus annuels générés par la publicité sur internet que Google et Facebook accaparent.
Comment ces géants génèrent-ils tous ces revenus ? En vendant vos données personnelles. Les miennes, les vôtres. En profilant votre lieu de résidence, votre âge, votre niveau de revenu, vos postes de dépenses et même votre condition physique, ils sont en mesure de vendre aux annonceurs un temps d’accès à votre cerveau que jamais aucun journal ne pourra leur offrir de manière aussi ciblée.
C’est une guerre perdue d’avance, avec les informations les plus intimes de votre vie personnelle comme arme, qui devient encore plus odieuse quand on constate que l’un de ses champs de bataille, c’est précisément le travail d’enquête et d’information effectué par les médias.
PARTAGER LA TARTE
Les reportages et les chroniques produits par les entreprises de presse, c’est une part importante du contenu que les GAFAM utilisent pour remplir leurs plateformes. Apple a déjà fait un effort pour créer un espace de diffusion par abonnement du contenu de plusieurs journaux. Bravo. Mais Google et Facebook utilisent encore nos articles gratuitement pour vous attirer en ligne, tout en vendant vos données personnelles.
De sorte que vous nous lisez encore, mais sans passer par la page d’accueil de nos plateformes et comme c’est légitime et un peu inévitable que ça se fasse par ailleurs. Au gré de ce que vos amis partagent sur Facebook ou des articles que Google vous pousse quand vous faites une recherche sur son moteur.
Entendons-nous bien : personne ne parle de remettre le génie dans la bouteille. L’information va continuer de migrer sur internet, elle en gagnera même une meilleure diffusion. Le format papier va rester pour un temps, mais il ne reviendra pas avec force.
SE SORTIR LES DOIGTS DU NEZ
Ce qu’on peut faire, toutefois, c’est partager la tarte. Faire en sorte que les revenus que Google et Facebook génèrent en partageant l’information servent à financer sa production.
Ce qui nous amène à Justin Trudeau.
Justin Trudeau, qui a lancé une poignée de change aux journaux en leur accordant un crédit d’impôt sur leur masse salariale.
Justin Trudeau, qui ouvre grandes les portes de son cabinet aux lobbyistes de Google et de Facebook.
Justin Trudeau, qui a déjà admis qu’il faudrait bien un jour faire en sorte que Facebook, qui ne fait pas travailler 100 personnes au Canada, finisse par payer des taxes sur l’argent qu’il fait ici.
Justin Trudeau, dont plusieurs pensent qu’il achète les journaux en les subventionnant, mais qui se trouve en fait à les regarder crever pour ne pas déplaire à ses amis des GAFAM. Peut-être aussi que ça fait son affaire.
Justin Trudeau, qui justifie toutes ses inactions en objectant qu’il a d’autres priorités ces temps-ci. Bien justement.
On est en pandémie. On a besoin des médias pour qu’il n’y ait pas que le discours conspirationniste qui s’exprime.
On est en démocratie. On a besoin des journaux pour qu’il n’y ait pas que du fake news poussé par les Russes qui circule.
Il faut faire payer les GAFAM, Google et Facebook au premier chef, pour financer l’information qu’ils utilisent pour s’enrichir. Et ça commencerait à être vraiment le temps que Justin Trudeau se sorte les doigts du nez pour que ça arrive.
Justin Trudeau ouvre grandes les portes de son cabinet aux lobbyistes de Google et de Facebook.