Le Journal de Montreal

Jean-Louis Fortin

- Jean-Louis Fortin Directeur du Bureau d’enquête

« À 14 h précises, on cogne à la porte. C’est lui, la source que tout journalist­e rêverait d’avoir. »

« L’homme de courte stature est armé et dépose son pistolet sur une table que j’ai placée entre le lit et une chaise. “Are you impressed ?” me lance-t-il avec un grand sourire. “Yes. Very much.” J’ai devant moi Andrew Scoppa, l’un des confidents du défunt parrain Vito Rizzuto, un trafiquant internatio­nal d’héroïne et un meurtrier sans pitié. »

Ce récit n’est pas tiré d’une oeuvre de fiction.

Il s’agit d’une histoire vraie qui s’est déroulée dans une chambre d’hôtel du quartier Griffintow­n à Montréal.

Elle a été vécue par

Félix Séguin, journalist­e au sein de notre Bureau d’enquête, et racontée dans le livre La source, qu’il a coécrit avec son collègue Éric Thibault et qui est disponible en librairie depuis quelques jours.

Dans cet ouvrage, les deux reporters chevronnés étalent les confession­s fascinante­s qu’ils ont recueillie­s de Scoppa l’année dernière. Le mafieux leur a livré ni plus ni moins que le testament de sa vie criminelle, quelques semaines avant de se faire abattre d’une balle à la tête. Grâce au talent de la réalisatri­ce Ninon Pednault, nous avons également adapté l’histoire dans un documentai­re de plus d’une heure, Scoppa et moi, que vous pouvez regarder dès maintenant sur Club illico.

DES REPORTAGES-CHOCS

C’est probableme­nt un cas unique dans les annales du journalism­e québécois : un des plus influents mafieux de Montréal était devenu une source journalist­ique, et ce, depuis 2014.

Cela nous a permis de réaliser des dizaines de reportages fascinants sur le crime organisé montréalai­s.

√ Dans l’un d’eux, en mars 2015, Félix Séguin expliquait qui siégeait maintenant à « La Table » de la mafia montréalai­se, c’està-dire son comité de direction, après la mort du parrain.

√ Nous avons également levé le voile sur « The Book » (le livre des paris sportifs clandestin­s de la mafia), une façon de s’enrichir illégaleme­nt beaucoup moins risquée que le trafic de drogue.

√ Aux pages 4 et 5 de cette édition, vous trouverez aussi des détails inédits tirés des confession­s de Scoppa sur des meurtres mafieux survenus dans la dernière décennie.

MULTIPLES PRÉCAUTION­S

Sachant que leur interlocut­eur était un criminel notoire avec de nombreux ennemis, nos journalist­es ont dû prendre de multiples précaution­s. Pas question de s’attabler avec lui au restaurant, où ils auraient été une cible immobile et facilement approchabl­e pour les ennemis de Scoppa. Des rencontres ont donc eu lieu dans une chambre d’hôtel, ainsi que dans un véhicule en mouvement. D’autres se sont déroulées dans les gradins d’un parc municipal, près d’un terrain de soccer. Les lieux offraient une vue à 360 degrés pour voir si quelqu’un s’approchait. En août 2019, Félix Séguin et Éric Thibault ont même dû s’envoler en Espagne pour y rencontrer Scoppa, dont la tête était de plus en plus mise à prix au Québec. Un tel projet impliquait aussi de travailler dans le plus grand secret. Leurs collègues et leurs familles en savaient le moins possible, voire rien du tout.

DÉVOILER NOTRE SOURCE

Le respect de l’anonymat d’une source qui en fait la demande est un principe fondamenta­l en journalism­e. Après la mort de Scoppa, en octobre 2019, nous avons néanmoins déterminé qu’il était légitime de lever le voile sur cette relation de source qu’il avait avec nous, mais aussi avec la police.

D’abord, parce que ses révélation­s sur les rouages du crime organisé à Montréal, venant d’un acteur-clé comme lui, sont d’un très grand intérêt public. Mais surtout, parce que Scoppa lui-même nous avait donné carte blanche pour révéler son identité, s’il devait lui arriver un malheureux événement. Pour nos journalist­es, recueillir les confidence­s d’un chef mafieux n’a donc pas été de tout repos. Cela a nécessité d’eux une préparatio­n minutieuse et une grande discrétion. Et aussi, beaucoup de disponibil­ité et de patience lorsque Scoppa préférait s’épancher sur ses états d’âme pendant de longues heures, pendant lesquelles il fallait tout simplement… l’écouter. Bref, du travail de profession­nels. J’y vois une parfaite illustrati­on de l’importance pour la société de compter sur de vrais journalist­es d’enquête. Nous sommes fiers, au Bureau d’enquête de Québecor, d’avoir le temps et les ressources pour faire ce travail fondamenta­l.

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