Trudeau estime que la liberté d’expression a ses limites
Il ne faudrait pas qu’elle blesse inutilement des minorités, selon lui
OTTAWA | (AFP) En pleine polémique sur les caricatures du prophète Mahomet en France, Justin Trudeau a affirmé hier que la liberté d’expression n’était pas sans limites quand certains propos peuvent choquer des minorités.
« Nous allons toujours défendre la liberté d’expression », a affirmé le premier ministre, en réponse à une question sur le droit à caricaturer le prophète Mahomet, comme l’a fait le magazine Charlie Hebdo.
« Mais la liberté d’expression n’est pas sans limites », a-t-il poursuivi en conférence de presse, soulignant l’importance d’agir avec respect, de ne pas blesser autrui « de façon arbitraire ou inutile ».
Le premier ministre canadien prenait ses distances de la position du président français Emmanuel Macron dont le pays est secoué par une série d’attentats islamistes.
Ce dernier a défendu le droit à publier des caricatures en France lors d’un hommage à Samuel Paty, un enseignant décapité en pleine rue pour avoir montré les dessins du prophète Mahomet dans un cours sur la liberté d’expression.
LE POIDS DES MOTS
M. Trudeau, qui a pris 10 jours avant de condamner le meurtre du professeur, a plaidé plutôt pour un usage « prudent » de la liberté d’expression.
« Nous nous devons d’être conscients de l’impact de nos mots, de nos gestes sur d’autres, particulièrement ces communautés et ces populations qui vivent encore énormément de discriminations », dit-il.
Cette déclaration a fait réagir le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.
« Le premier ministre du Canada avoue […] que selon ses valeurs, le dogme religieux et la violence qu’il suscite dans des cas extrêmes ont préséance sur la liberté d’expression, la liberté d’enseignement et la sécurité des citoyens sous sa responsabilité », a-t-il écrit dans un communiqué.
Au Canada, le débat sur la liberté d’expression a aussi touché l’emploi du mot « nègre » par une enseignante de l’Université d’Ottawa lors d’un cours en histoire de l’art.
Pour le professeur en droit constitutionnel de l’Université Laval, Patrick Taillon, « un fossé » sépare l’opinion de M. Trudeau et celle du plus haut tribunal au pays.
« La Cour suprême est constante : la liberté d’expression sert à protéger les propos qui sont polémiques. Si elle protégeait seulement les propos qui ne dérangent pas, ça n’aurait aucun sens. »
Si la liberté d’expression a ses limites, c’est quand elle se mesure aux autres droits et libertés, rappelle-t-il.
Or, le premier ministre semble insinuer qu’il faudrait se retenir d’exprimer des opinions qui perturberaient les groupes minoritaires de manière à préserver la cohésion sociale, poursuit-il. Ce point de vue relèverait du registre moral plutôt que légal.
« Ce n’est pas parce que j’ai le droit [légalement] de poser certains gestes qu’il est approprié de les poser », illustre l’enseignant en droit.
L’affirmation de M. Trudeau survient alors que trois personnes ont été poignardées à mort jeudi dans une église à Nice, en France, un attentat qu’il a qualifié d’« affreux et épouvantable ».