LA FILLE DE MATANE… ET DUCH
Son nom circule depuis quelques années. Les grandes patronnes dans le hockey ne sont pas légion. Et France Margaret Bélanger fait beaucoup jaser dans les petits cercles des médias.
C’est la vice-présidente exécutive du Groupe CH. Donc du Canadien. Responsable de la valeur commerciale et des revenus colossaux en temps normal du groupe. Elle est également la gouverneure suppléante au sein de la Ligue nationale. Elle est celle qui se rapporte seulement à Geoff Molson.
La voilà choisie directement par Gary Bettman pour siéger au sein de son comité exécutif pour l’inclusion.
Elle, une femme dans les hauteurs gestionnaires de la LNH. Elles sont deux ou trois à son niveau. Elle, une francophone de Matane. Triplement qualifiée si l’on admet que l’intelligence et la sensibilité sont un premier critère.
Et que France Margaret Bélanger peut être dure en affaires comme de l’acier trempé.
Pas besoin de la décrire. Les photos témoignent de son allure. Juste vous dire qu’en personne, on ressent son énergie inépuisable et son charisme. J’aurais voulu l’avoir imaginée dans Lance et Compte. Jouée par Maxime Roy.
LA FILLE DE MATANE
C’est un parcours comme tracé à l’avance par les circonstances qui l’a amenée au Canadien. France Margaret est la dernière des quatre enfants de
Walter Bélanger. Et de Margot sa mère, évidemment.
Walter Bélanger, c’est le fondateur de Béton provincial. 90 usines et 500 bétonnières au Québec. C’est son grand frère André qui préside aux destinées de l’énorme entreprise. Et André résume rapidement l’enfance de sa cadette de dix ans : « On lui a pas donné le choix. Fallait qu’elle soit brillante ».
Donc, une jeune fille avec une cuillère d’argent à la naissance ? Ce n’est pas ainsi que France Margaret voit l’histoire : « Mon père Walter était le plus jeune d’une famille de 13 enfants. Il est devenu commerçant de chevaux. Il ne parlait pas anglais, mais il se rendait en Ontario et dans l’Ouest pour négocier l’achat de chevaux. Il revendait jusqu’à Rivière-du-Loup. As-tu une idée de ce que ça représentait ? Son gros compétiteur était son beau-père, le distributeur des tracteurs John Deere. Les tracteurs étaient la menace pour le commerce des chevaux dans les chantiers et pour l’agriculture. Finalement, il a eu l’opportunité d’acheter Béton Deschesne et Bernier. Il se cherchait un nom pour sa nouvelle entreprise. Il trouvait que la compagnie Matelas provincial avait un beau nom. C’est comme ça qu’est né Béton provincial », raconte Mme Bélanger.
UNE CARRIÈRE FLAMBOYANTE
À 16 ans, elle convainc son père qu’elle doit apprendre l’anglais. Le St-Lawrence est l’excuse parfaite pour s’installer à Québec. Elle passe à travers le cégep et le droit à l’Université d’Ottawa à toute allure.
Et se retrouve, à 27 ans, jeune, très jeune, associée au prestigieux bureau Stikeman, Elliott à Montréal. Et elle y trouvera deux très importants mentors dans sa vie professionnelle. Calin Rovinescu qui deviendra en 2009 président d’Air Canada et Pierre Raymond, spécialiste en acquisitions et fusions qui accompagnera toute sa carrière chez Stikeman.
On arrive vite au Canadien. Elle est dans la vingtaine quand Stikeman reçoit le mandat de trouver un acheteur pour le Canadien puisque la Brasserie Molson a décidé de vendre la prestigieuse organisation. C’est Me Pierre Raymond qui hérite du dossier et qui entreprend les négociations avec Jeff Joyce, partenaire et conseiller d’affaires de George Gillett : « Nous n’avons pas trouvé un seul investisseur québécois pour le Canadien. Et regardez la valeur actuelle de
l’équipe ! Mais j’étais là tout le temps dans le dossier. J’étais très jeune et je consacrais évidemment beaucoup de temps à préparer la paperasse. Mais j’étais à la table des négociations tout le temps à côté de Me Raymond. J’ai vu George Gillett la première fois le 26 juillet 2001, quand la vente est devenue officielle. C’est moi qui ai apporté la grosse pile de documents à signer à M. Gillett dans le bureau présidentiel. La vente était complexe puisque Molson conservait 19,1 % du Canadien. Et il ne faut pas oublier que rien ne pouvait se faire sans l’approbation à toutes les étapes de la Ligue nationale. M. Gillett détestait ces séances de signatures interminables. Mais fallait le faire », raconte-t-elle encore impressionnée par l’audace de la jeune avocate qu’elle était à l’époque.
ARRIVE GEOFF MOLSON
L’avocate est restée proche du Canadien pendant tout le règne Gillett : « Comme j’avais participé à toutes les étapes, je parlais à Fred Steer au moins une fois par semaine. Par exemple, quand M. Gillett a capitalisé sur la vente du nom du Centre à Bell, j’ai été impliquée directement avec la banque
Hancock à New York », raconte-t-elle.
Elle avait fait partie de l’équipe d’acheteurs en 2000-2001, elle sera l’une des leaders de l’équipe de vendeurs en 2009. Elle a vécu d’un bout à l’autre les rebondissements de cette vente de 600 millions.
Cette fois, les candidats étaient nombreux, de Québecor au groupe de Geoff Molson en passant par Steven Bronfman. Toujours comme avocate chez Stikeman Elliott. On se rappelle le banquier Jacques Ménard, mais l’avocate derrière (et souvent à côté) était France Margaret Bélanger.
La ritournelle des appels et des visites au Centre Bell a repris. Fallait éclaircir certaines situations, régler des problèmes.
Tellement qu’après un premier refus en 2013 pour des raisons personnelles, elle acceptait l’offre de Geoff Molson de devenir vice-présidente aux affaires légales quelques mois plus tard.
L’EMPIRE DU CH
Son rôle va vite prendre de l’ampleur. Elle mène les négociations pour les acquisitions de Spectra, le Festival de jazz et les édifices impliqués, et d’autres activités achetées par le Groupe CH. Puis, c’est elle, Molson et Kevin Gilmore qui vont mener les négociations avec RDS pour les droits locaux de télévision du Canadien. On connaît le nombre de millions annuels qui tombent maintenant dans les coffres du CH. C’est son oeuvre.
Elle travaille côte à côte avec Kevin Gilmore qu’elle aime beaucoup d’ailleurs. Mais Gilmore se sentait à l’étroit dans ce nouvel environnement où Mme Bélanger occupait beaucoup d’espace.
C’est elle qui finit par être la numéro deux de tout le Groupe CH. Anna Martini aux finances, c’est Geoff Molson et elle. Et Daniel Trottier aux opérations et les deux ou trois autres personnages clés du Groupe CH sont ses choix.
La montée fulgurante du Groupe CH, tous ses succès à tous azimuts, a été stoppée brutalement par la COVID 19. L’édifice est vide. Toutes les entreprises du Groupe CH sont arrêtées. Pas de festival du jazz, pas de festival Juste pour rire. Pas de grandes fêtes sur les îles. Rien. Nada.
On planche sur des scénarios, mais rien n’est certain. La Ligue américaine parle du 5 février comme relance de ses opérations.
La Ligue nationale ? Janvier, peut-être. Février, plus probable. France Margaret
Bélanger me montre les plans et les configurations possibles pour le Centre Bell. Pour 4000 spectateurs, pour 10 000 ou pour 21 000. Avec des accès prévus et protégés.
Pour des matchs incluant les villes américaines ou pour des villes canadiennes seulement. Beaucoup de scénarios. Très peu de certitudes.
« Il y a une chose qui est certaine. Ces temps très pénibles nous ont permis de mesurer malgré nous l’extraordinaire loyauté et l’amour de nos partisans. Chaque année, il y a un certain nombre de nos abonnés qui abandonnent leurs billets. Mais c’est un très grand pourcentage d’entre eux qui renouvellent. Malgré la COVID, malgré l’incertitude, ce pourcentage de fidèles n’a que très peu baissé. On parle de quelques unités, pas plus. C’est exceptionnel », dit-elle.
DEUX BELLES FILLES
France Margaret Bélanger défend sa vie privée. Avec raison. Elle est fière de ses deux filles, Margaux, 12 ans et Juliette, neuf ans, nées de son union avec Hubert Lacroix, ancien président de Radio-Canada.